vendredi 7 novembre 2008

Arsenic et vieilles dentelles




Deux charmantes vieilles dames, pétries de charité chrétienne, tuent en série les laissés-pour-compte de leur ville sous l'oeil désemparé de leur neveu (Cary Grant)-amoureux fou de la fille du pasteur.
Tandis que leur second neveu, un criminel recherché par la plice, débarque à l'improviste avec un cadavre sous les bras et essaie de tirer profit de la situation...

Avant toute chose il faut savoir que le film est une "screwball comedy". Pour ceux qui ne connaissent pas le terme, j'ai choisi cette citation du scénariste américain Andrew Bergman:

« Il y avait un lancer au base-ball dans les années 30 appelé un "screwball" performé par un lanceur appelé Karl Hubbell. C’était un lancer avec une rotation particulière qui allait dans différentes directions et empruntait des chemins inattendus… La Screwball Comedy n’était pas conventionnelle, elle allait dans différentes directions et empruntait des chemins inattendus… »

Un des traits dominants de ce sous-genre est la quasi-absence de pré-récit. L’histoire débute à la première minute du film ; un portrait des personnages principaux est dressé très rapidement. Il n’existe aucun dialogue explicatif sur ce que le spectateur serait déjà censé savoir avant de regarder le film ce qui lui donne un rythme particulièrement rapide.

D'une facture d'apparence classique, les screwball comedies se caractérisent donc par un enchevêtrement rapide de situations de vaudeville, cocasses et incongrues.

La folie hante le film de bout en bout entre ceux qui le sont (le cousin Teddy qui se prend pour le président Roosevelt et lance une charge sabre-imaginaire- au clair chaque fois qu'il monte les escaliers) et ceux qui croient le devenir (Cary Grant sombre peu à peu dans la démence si bien que le docteur se demande s'il ne devrait pas l'enfermer lui aussi^^).

Ce serait une erreur de dire que Cary Grant porte le film sur ses épaules car chaque acteur cerne son personnage avec minutie et livre une interprétation absolument sans faille! Pourtant, j'ai rarement vu un acteur aussi frénétique au cinéma.
Il bondit dans tous les sens, parle à la vitesse V2, grimace plus que Steve Martin dans tous ses films réunis... bref c'est une vraie pile électrique!

Le scénario surprend constamment et abuse des Deus Ex Machina.
"Surtout employée dans le vocabulaire théâtral , se dit au sujet d'une personne qui arrive, d'une façon impromptue, au moment d'une situation désespérée pour la résoudre.
A chaque fois qu'on croit le héros perdu, un nouveau personnage débarque. Les situations les plus improbables se succèdent alors (mention spéciale pour Cary qui raconte carrément ce qu'il ne faut pas faire dans une situation dangereuse au moment où il est lui même en danger! XD) à un rythme impressionnant. Le scénario nous tient en haleine jusqu'à la dernière minute.

J'ai pas pu résiter à mettre quelques exemples de dialogues. Juste pour vous montrer à quel point ils sont géniaux :)
Elaine Harper: But Mortimer, you're going to love me for my mind, too.
Mortimer Brewster: One thing at a time!

Elaine Harper: But, darling - Niagara Falls.
Mortimer Brewster: It does? Well, let it.

Et un dernier pour la route
Mortimer Brewster: Now look, darling, how did he die?
Abby Brewster: Oh, Mortimer, don't be so inquisitive. The gentleman died because he drank some wine with poison in it.
Mortimer Brewster: Well, how did the poison get in the wine?
Martha Brewster: Well, we put in wine because it's less noticeable. When it's in tea it has a distinct odor.


Et la réalisation n'est pas en reste.
Le réalisateur Frank Capra a pendant 20 ans incarné l'Amérique, ses espoirs, ses doutes, ses "valeurs"...La thématique de ses films rappelle le message de l'Evangile "aimer son prochain comme soi même". Les personnages centraux de ses films sont bons ou essaient de l'être. Plusieurs fois récompensé aux oscars, Capra a marqué les années 40 par des chefs d'oeuvre intemporels tels que : La vie est belle, L'extravagant Mr Deeds ou encore L'homme de la rue.

Adaptation d'une pièce de théâtre ( comédie de Broadway au succès retentissant), le film en garde les caractéristiques.
Hormis les premières scènes, tout le film se déroule à l'intérieur ou autour de la maison des 2 tantes (décor unique), les nombreux personnages du film ne cessent de se croiser dans des lieux étroits et la caméra passe d'un acteur à l'autre voire d'un étage à l'autre dans le même plan.

Après un début en fanfare, le film lorgne sur le film d'horreur lors de l'arrivée du cousin Jonathan (dont la tête de Boris Karloff -qui jouait dans la pièce originale- sera sujet à nombreux gags).
Capra parodie alors élégamment le genre en multipliant les gros plans sur un visage déformé par les cicatrices, les effets choc mais gratuits d'un rideau qui s'ouvre brutalement ou des jeux d'ombres faussement expressionnistes. Un vrai régal pour les amateurs!
Mais juste au moment où le film va pencher du côté obscur^^ (on s'apprête à commetre un meurtre) Cary Grant revient sur le devant de la scène et ne la quittera qu'au défilement du générique.
Exploitation de la profondeur de champ, maestria des raccords sur des changements d'angle fréquents, mobilité quasi imperceptible de la caméra qui capte le moindre mouvement des comédiens, sens de l'ellipse spatiale (on imagine l'ampleur de la scène de baston en regardant les réactions blasées de Cary Grant)...la mise en scène confine au génie!

Le film est devenu un des grands classiques de la comédie américaine, remportant un succès qui ne faiblit pas.
La gageure de l'adaptation cinématographique d'une pièce de théâtre pour en faire un film de près de deux heures en huis clos est devenu une référence en la matière, grâce à un dosage dans la graduation et l'accumulation progressive des situations et des effets de retournements.
Plus de 60 ans (!) après, le film a gardé intact toutes ses qualitées et peut facilement tenir tête aux pathétiques vaudevilles d'aujourd'hui!
De loin une des meilleures comédies que je connaisse.

Note * * * *

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