dimanche 22 août 2010

Fido



Il y a bien longtemps, la Terre traversa un nuage stellaire de poussière radioactive qui sema le chaos sur notre planète en déclenchant un effroyable appétit de chair humaine. La terreur dura jusqu'à ce que la toute-puissante compagnie ZomCon mette au point un collier qui domestique littéralement les zombies.
Devenues jardiniers, livreurs de lait ou même véritables animaux de compagnie, ces créatures sont désormais partout, sous le parfait contrôle de leur collier, dans un monde réglé comme du papier à musique.




En tant que film d'horreur qui se respecte, le film de zombie a toujours eu pour but d'effrayer le spectateur. Mais, dans les oeuvres majeures principalement, il est possible de distinguer un second niveau de lecture inhérent au contexte socio-politique de la réalisation de tels films. De ce fait, les films de George Romero (le grand manitou du genre), comportent chacun une approche subversive et satirique de la société contemporaine et le réalisateur prend à chaque fois un malin plaisir à mettre au pied du mur les tares de son temps : la guerre du Vietnam et les valeurs puritaines (« La nuit des Morts Vivants »), les excès de la société de consommation (« Zombie »), du totalitarisme (« Land of the Dead »), voire l'explosion des nouveaux médias (« Diary of the Dead »).

Mais hormis Romero et quelques confrères, la plupart des films de zombies se définissent comme de vulgaires séries Z où le gore grand gignolesque des situations l'emporte sur l'intelligence du script et la crédibilité des acteurs. A toujours monter d'un cran dans la surenchère, le film de zombie a ainsi très vite été codifié (certaines scènes sont devenues des passages obligés dont on ne peut se défaire) et a perdu de son impact au fil du temps. Il faut dire que le zombie a beau se nourrir de cervelle et de chair fraiche, sa lenteur aberrante n'en a jamais fait un adversaire si redoutable et aujourd'hui, le genre fait plus rire que frémir.

Edgar Wright et ses comparses l'ont bien compris et le succès critique et public de « Shaun of the Dead », la première comédie romantique avec des zombies, prouve bien que le vent a tourné. Les recettes de « Shaun of the Dead » au box office ont évidemment engendré de nombreux films de zombies d'un ordre nouveau. Si certains continuent à se prendre au sérieux, la plupart lorgnent désormais vers la comédie satirique. Le zombie devient alors le médiateur de la critique sociale au cinéma.
Avec plus ou moins de talent, de nombreux participants se sont lancés dans l'aventure et même les moutons ont eu leur heure de gloire (« Black Sheep »)...

C'est dans ce contexte que « Fido » débarque sur les écrans. Et dans le film, on découvre une facette inédite de la célèbre créature non-morte : si hier, les zombies vous sautaient dessus pour vous dévorer, aujourd'hui ils peuvent promener le chien ou tondre la pelouse pendant que vous lisez le journal du matin. De danger mortel, ils sont devenus de simples domestiques dont on contrôle les pulsions primales à l'aide d'un simple collier électronique. Une idée fort appréciable qui renouvelle le genre.

A l'opposé des oeuvres de Romero, « Fido » n'est pas un film horrifique. S'il y a bien quelques effets gores (le film n'est en aucun cas destiné aux plus jeunes...), ils sont toujours relégués au second plan au détriment de la comédie. En revanche, en digne héritier des films du maître, « Fido » entreprend de rassembler les éléments d'une satire sociale et ceux d'un pur divertissement. Et pour le coup, il fait mouche sur les deux tableaux.

Alors que la majorité des films de zombies récents se déroulent dans un monde contemporain, les scénaristes ont eu la brillante idée de mettre en scène l'histoire de « Fido » dans les années 50 ; certainement l'époque la plus conservatrice des Etats Unis. Et c'est au coeur d'une banlieue chic caucasienne que se déroule le film. Le réalisateur insiste évidemment sur le comportement stéréotypés des habitants qui, dans des costumes tirés à quatre épingles pour les hommes et tabliers colorés pour les femmes, ne cherchent qu'à passer pour des saints aux yeux de leur voisins...et ce, quelqu'en soit le prix. On assiste donc à un florilège de scènes complètement absurdes comme celle où une femme au foyer décide d'employer un zombie à son service pour ne pas être la seule dans son quartier sans domestique...

Le ton du film prend d'étonnantes libertés pour une comédie de ce genre et c'est dans un pur esprit décalé que le film met en scène des collégiens pratiquant le tir à la carabine pendant les cours, sans oublier que les-dites armes ne sont pas censées êtres possédées par un enfant...avant ses 12 ans. Une critique féroce de la société américaine où la législation du port d'arme à feu n'est plus que jamais d'actualité.

De même, toutes les valeurs conformistes et la morale puritaine des années 50 en prennent pour leur grade : quand un père de famille est incapable de prendre une décision et accorde plus d'importance à son sport favori qu'à son propre fils, pourquoi ne pas le remplacer? En l'occurence, un zombie fera très bien l'affaire...
Ces quelques exemples ne constituent bien entendu que la partie émérgée de l'iceberg (pour ne pas gâchêr le plaisir de la découverte) mais ils permettent d'illustrer le ton délicieusement cynique abordé par le film.


En ce qui concerne le divertissement pur, « Fido » frappe un grand coup. Non seulement le script est remarquable mais la réalisation elle même est un renouvellement constant de belles surprises. Pour commencer, le film bénéficie d'une ambiance géniale qui nous replonge immédiatement dans les 50's. Les magnifiques décors de la banlieue chic sont mis en valeur par une photographie chatoyante et des cadrages exemplaires (la scène de la pleine lune...) et les différents morceaux de musique sont tous empreints d'une certaine nostalgie, volontairement caricaturale.
Cette volonté d'exagération se retrouve tout au long du film : du court métrage en noir et blanc en guise de présentation jusqu'au générique final qui défile sur un vieil encadré de théâtre, le film fourmille de petites trouvailles qui lui donnent une atmosphère unique.

Le casting est également une petite réussite en soi. Les acteurs, sans êtres particulièrement connus; campent des personnages formidablement bien écrits. Voir Carrie Anne Moss, en fée du logis, troquer la tenue en cuir moulante de Trinity pour un tablier de cuisine à fleurs surprend, d'autant que son interprétation est fort appréciable. Mais la vraie révélation du film c'est Fido justement, joué par Billy Connoly. Aucune ligne de dialogue et pourtant il est certainement le personnage le plus expressif du film. Le regard de l'acteur à lui seul traduit les pensées et les émotions de son personnage et sa gestuelle parfaitement maîtrisée est un exemple à suivre. On n'avait pas vu de zombie aussi « humain » depuis Bob dans « Le Jour des Morts Vivants » de Romero.



Une réalisation exemplaire, un casting impeccable, un scénario original et bien écrit, un ton aussi cynique que réjouissant, un humour noir et absurde, quinze idées par plan..., « Fido » risque bien de devenir la nouvelle référence de la « zombie comedy » aux côtés de "Shaun of the Dead" et "Zombieland". Que dire de plus?



Note : ***

L'Ombre du Vampire




Dans les années 1920, le réalisateur allemand Friedrich Murnau entreprend de tourner un film de vampires inspiré du « Dracula » de Bram Stoker. Il fait appel à Max Schreck pour tenir le rôle principal mais les méthodes de travail du comédien déroutent de plus en plus l'équipe du film...




Dans la culture populaire contemporaine, le vampire reste une figure récurrente et incontournable du film d'horreur, et ce depuis la publication du célèbre « Dracula » de Bram Stoker. Au cinéma, on ne compte plus les adaptations du roman, qui ont su, à travers les différentes approches du scénario et le développement des moyens techniques, faire perdurer le mythe et donner à Dracula ses titres de noblesse pour de multiples générations. Et malgré l'engouement pour les vampire next-gen qui brillent au soleil, aujourd'hui encore, Dracula demeure certainement le vampire le plus connu de l'histoire du 7ème art.

Pourtant, le premier vampire ayant vu le jour sur les écrans ne s'appelait pas Dracula mais Orlock. En effet, « Nosferatu », film allemand muet réalisé à la fin des années 20, fut le premier à mettre en scène la célèbre créature. En revanche c'est bien Dracula qui est à l'origine du film puisque « Nosferatu » n'est que l'adaptation non officielle du roman de Stoker : la veuve Stoker refusant de céder les droits du livre, l'équipe du film décida simplement de modifier le nom des personnages. Si cette histoire est bien connue des amateurs, elle ne l'est pas pour autant du grand public et méritait donc d'être signalée. Mais la supercherie tourna court et l'on ordonna que le film soit détruit. Fort heureusement, certaines copies échappèrent au massacre, ce qui permit à « Nosferatu » de faire la carrière remarquable qu'on lui connait. Jeux d'ombres et de lumières prononcés et angoissants, décors distordus et tortueux, ambiance inquiétante et personnages sinistres, le film est un chef d'oeuvre de l'Expressionisme allemand et, pour beaucoup, reste considéré comme le meilleur film de vampire jamais réalisé.

Néanmoins, en dehors de ces considérations purement techniques et artistiques, « Nosferatu » a également marqué les esprits par la présentation de son vampire, interprété alors par Max Schreck. Glabre, émacié, les yeux perçants, les ongles effilés comme des griffes et surtout le corps d'une rigidité surnaturelle, la composition de l'acteur aura fait parler d'elle. Et justement, le bruit court que Schreck était en fait un véritable vampire...

Cette histoire peu banale sert justement de point de départ à « L'Ombre du Vampire », qui raconte le tournage de « Nosferatu » par Murnau. « L'Ombre du Vampire » est un film indépendant et peu connu mais remarquablement réalisé. D'un côté, il décrit avec une précision quasi documentaire les conditions de tournage de l'époque, d'un autre il tend à romancer ce qui aurait pu se passer entre Schreck et l'équipe du film si celui ci avait réellement été un vampire. Le réalisateur E. Elias Penetrez réussit son coup sur les deux tableaux grace à une mise en scène superbe, une intrigue efficace et non dénuée d'humour et un casting fabuleux.

« L'Ombre du Vampire » est sorti en 2000 alors que « Nosferatu » date de 1922. Il est donc évident qu'un fossé technique gigantesque sépare les deux oeuvres. De fait, pour tenter de coller à l'esthétisme de l'époque, le cinéaste aurait pu opter pour un vieux sépia, voire un simple noir et blanc pour tenter de vieillir artificiellement l'image et faire ainsi correspondre visuellement son film et celui dont il raconte le tournage. Mais si les scènes de « Nosferatu » sont bien tournées en noir et blanc, le film ne bénéficie d'aucun effet particulier, ce qui lui donne une proximité inattendue et permet de se plonger plus facilement dans le contexte. De plus, le film n'alterne pas constamment couleur et noir blanc, ce qui aurait pu alourdir la mise en scène, mais au contraire, lorque une séquence est en train d'être tournée, le spectateur « entre » dans la caméra et la couleur disparaît progressivement. Il est alors très agréable de voir certaines scènes mythiques de « Nosferatu » prendre vie sous nos yeux alors que l'on se trouve tourjours sur le plateau de tournage. Une mise en abyme astucieuse et un procédé ingénieux qui évitent tout sentiment de lassitude.

Autre point fort, la sobriété de la mise en scène. Malgré le caractère fantastique de la situation, le film ne sombre jamais dans la démesure que l'on pourrait attendre d'un film d'horreur traditionnel. Si « L'Ombre du Vampire » est souvent violent, il ne cède jamais à la gratuité malsaine du gore. L'horreur est en effet plus psychologique et, sans trop en dévoiler, le réalisateur (Murnau) se révélera bien plus cruel et terrifiant, dans sa folie créatrice démesurée, que le monstre lui même.

Enfin donc, le casting du film est de grande qualité. Murnau est joué ici par John Malkovich qui se révèle très crédible et la hantise finale de son personnage en est d'autant plus dérangeante. A ses côtés, les seconds rôles sont tous très appréciables et l'on retiendra surtout la courte apparition de Cary Elwes. Aussi à l'aise pour la comédie (« Hot Shot! », « Sacré Robin des Bois ») que pour le drame (« Saw »), Elwes joue ici sur les deux registres avec un talent fou; un acteur qui mérite assurément une meilleure reconnaissance publique.

Mais c'est bien évidemment Max Schreck, incarné par un Willem Dafoe habité, qui retiendra l'attention du spectateur. Que ce soit le psychopathe violent de « Sailor et Lula » ou le méchant schyzophrène de « Spiderman », Dafoe est un habitué des rôles de méchants dérangés. Pourtant, il réalise ici une performance hors du commun et son personnage de Max Schreck mérite d'être aussi connue que celle de l'acteur pour « Nosferatu ». Malgré la difficulté physique du rôle (Dafoe y est défiguré, méconnaissable, se déplace de manière erratique et s'encombre d'un accent allemand à couper au couteau), Dafoe ne sombre jamais dans le ridicule et ne surjoue pas. Et bien que le personnage lui même soit un tueur monstrueux et sanguinaire, l'acteur parvient à lui donner un certain charme, et réussit même à ce que le spectateur le prenne en pitié et se rende compte à quel point Schreck souffre de sa condition. Une composition à la fois tragique et effrayante qui lui vaudra une nomination aux Oscars comme meilleur second rôle.



A la fois documentaire d'époque et film d'épouvante, « L'Ombre du Vampire » nous donne l'occasion de nous plonger dans les coulisses de l'un des films d'horreur les plus célèbres de tous les temps. Une mise en scène subtile et un casting superbe desservent cette histoire étrange et atypique de ce vampire qui se fait passer pour un acteur censé incarner un vampire. Un film macabre et dérangeant mais qui n'exclue pas quelques touches d'humour. Dans la peau de la créature, Willem Dafoe trouve probablement l'un des meilleurs rôles de sa carrière.

Note: ***