mercredi 18 décembre 2013

Pacific Rim

Surgies des flots, des hordes de créatures monstrueuses venues d’une autre dimension ont déclenché une guerre qui a fait des millions de victimes. Pour les combattre, l'armée a mis au point de gigantesques robots, contrôlés par des pilotes. Je vous vois déjà venir avec vos gros sabots. Vous allez me dire qu'un film sur des robots hauts comme des immeubles qui se tapent dessus à grand renfort d’explosions, c'est juste un produit bassement commercial qui cherche à surfer sur la vague des Transformers. Et en un sens, vous n’auriez pas tort. Mais moi de vous répondre que si. Pacific Rim est le nouveau film du cinéaste mexicain Guillermo del Toro, un amoureux éperdu des univers fantastiques. Bercé aux comic books américains et à l’animation japonaise, Del Toro a su s’approprier les codes narratifs et esthétiques des deux genres. Rien d’étonnant alors à ce que les deux héros soient un américain casse-cou et une jolie japonaise aux yeux de biche - et aux cheveux colorés, notez bien. Et c’est également sans surprise que les pilotes des robots aient un passé tragique (les pilotes de méchas dans les mangas souffrent toujours d’un traumatisme). Ou encore que la douce japonaise soit aussi une machine de guerre meurtrière. Aussi bien au niveau du récit que du design de certains monstres, Del Toro démontre un intérêt certain pour la saga Neon Genesis Evangelion, le manga culte de Yoshiyuki Sadamoto. En matière d’action, Del Toro laisse s’exprimer son petit coeur de fanboy. Il puise dans le catalogue de séries et romans de sa jeunesse (en vrac, des références évidentes aux nombreux Godzilla, à King Kong, aux animés de méchas comme Patlabor/Gundam, ou encore aux monstres tentaculaires qui peuplent les romans de Lovecraft) pour nous offrir des affrontements dantesques, qui nous laissent avec un sourire béat d'admiration par leur démesure et leur inventivité. Le soin apporté aux cadrages et à la lumière est admirable. Chaque plan semble sorti tout droit d’une bande dessinée de notre enfance. Grace à une ambiance sonore de qualité et une mise en scène qui nous plonge au cœur de la baston, on reste sans voix face au potentiel destructeur des combattants. Quand il ne passent pas à travers des gratte-ciels comme on marche par inadvertance sur un château de sable, chaque coup de poing ou de griffe les envoie valser dans un fracas de rouages et de viscères. Lorsque le thème héroïque du film résonne soudain à nos oreilles alors qu'un robot haut de plusieurs dizaines d'étages traîne derrière lui un pétrolier qu’il s’apprête à fracasser sur le crâne d’une créature large comme un pâté de maisons, le terme "bad-ass" vient d’adopter une nouvelle définition. Mais Del Toro est aussi un prodige du maquillage et des effets spéciaux réalistes. Visuellement, Pacific Rim peut se vanter d’enterrer un bon nombre de productions récentes. Grace à un rendu des textures ultra-réaliste et une fluidité de tout instant, le film est d'une beauté à se damner. Depuis Avatar (2009 déjà), on n’aura pu contempler une peau reptilienne aussi palpable. Pacific Rim est garanti de repartir avec au moins une nomination aux Oscars pour ses effets visuels. Mais si le film regorge d’images de synthèse, ce n’est jamais au détriment de leur crédibilité. Lors des scènes d'action, la plupart des réalisateurs contemporains se repose essentiellement sur le "tout numérique" pour au final nous offrir ce qui ressemble plus à une cinématique de jeu vidéo qu’à une séquence digne d’un long métrage (le mollasson Man of Steel de Zack Snyder brandit fièrement un gros panneau ‘tout CGI’). Au contraire, le design de Pacific Rim est minutieusement travaillé. Que ce soit les mécanismes sophistiqués et l’armure rutilante des robots, ou l’aspect organique des créatures visqueuses, Del Toro s’impose une cohérence artistique au lieu de simplement jeter des idées sur le papier 'parce que ça ferait joli à l'écran' (Man of Steel, encore lui). En combinant habilement imagerie numérique et effets plus traditionnels, Del Toro rejoint les grands créateurs de mondes au même titre que James Cameron et George Lucas, en nous donnant la chance d’admirer un grand nombre de créatures, à la hauteur vertigineuse, parmi les plus crédibles jamais vues au cinéma. On pourra regretter cependant que le film n’exploite jamais l’univers fantasmagorique d’où proviennent tous ces monstres. Vu les possibilités infinies offertes par le scénario, on aurait bien aimé passer un peu plus de temps de l’autre côté du miroir… En plus d’être le réalisateur de films d’action nerveux et stylés comme Blade 2 ou Hellboy, Del Toro est aussi l’auteur maintes fois récompensé de l’Echine du Diable, Cronos ou du Labyrinthe de Pan. Des tragédies lyriques où la poésie de l’imaginaire s’associe à l’horreur de la réalité. Avec Pacific Rim, il fait rimer action avec émotion, et apocalyptique avec comique. D’une part, le script est basique et sans surprise, avec des raccourcis et des ficelles de narration à faire passer les films de Joel Schumacher pour du Bergman (quand on a pour assistant le scénariste du remake du Choc des Titans, faut pas trop en demander non plus…). Mais d'autre part, les personnages sont suffisamment attachants (malgré la pauvreté de certains dialogues). Comme dans Iron Man, ce n’est pas l’armure qui fait le héros, c’est l’homme à l’intérieur. Del Toro choisit judicieusement de mettre en valeur la vulnérabilité des pilotes et parviendrait même à nous arracher une larme lors des scènes les plus émouvantes. De même, la tragédie à grande échelle que dépeint le film est mise en scène avec un sérieux inébranlable. Ce qui n’empêche pas deux hurluberlus hystériques de monopoliser parfois l’attention pour détendre inutilement l'atmosphère (ce qui rappelle une fois de plus le duo navrant du Choc des Titans…). Et Ron Perlman – acteur fétiche de Del Toro – de faire l’andouille comme à son habitude. Bref, Pacific Rim a tout du gros nanar aux situations convenues et aux protagonistes vus mille fois. Mais avec le genre de nuances qui fait la différence entre un vulgaire film de monstres vendu à la douzaine et une bonne série B, généreuse et décomplexée. Aux commandes de cette méga-production, un réalisateur lambda ne cherchant qu’à grossir son portefeuille aurait plongé le film dans les abysses de la médiocrité. Il fallait bien un passionné de Japanimation et de comics avec une âme d’enfant - mais un talent de conteur grec - pour mettre en scène ces robots de 20 étages qui tapent joyeusement sur de gros lézards. Sorti cet été presque en même temps que Man of Steel, Pacific Rim fait partie de ces grosses machines hollywoodiennes qui cachent un scénario rachitique sous un déluge d’effets spéciaux. A ce jeu, Znack Snyder s'imagine réaliser une épopée grandiose et épique et se plante misérablement avec une version de Superman, aseptisée, ronflante, interminable et qui s’embourbe dans une esthétique de jeu vidéo. Del Toro, lui, nous offre un film idiot mais bourré d'énergie, auquel il apporte son talent artistique et sa verve narrative. Un plaisir coupable mais immédiat qui ne cherche pas à être davantage. On n’en ressort pas grandi, mais qu’est ce que ça défoule! Note: ***