dimanche 4 octobre 2009

A Bittersweet Life




Sunwoo est le bras droit d’un redoutable chef de gang. Après avoir trahi sa confiance, il est torturé pour obtenir des excuses. Mais il parvient à échapper à ses tortionnaires et décide de supprimer un par un les hommes de main de son gang pour terminer par son propre patron…



De par son aspect film d’action simpliste, un synopsis pareil peut prêter à sourire.
On voit déjà Van Damme ou Seagal dans le rôle principal.
Mais parfois un scénario peu développé peut aboutir à un très bon film si les idées et la mise en scène suivent. D’ailleurs, quand on y réfléchit, le scénario n’est pas sans rappeler le « Kill Bill » de Tarantino. Et plus que vers le nanar grotesque, c’est bien à ce dernier que « A Bittersweet Life » fait penser.
De l’univers de Mister « Pulp Fiction », le film emprunte un bon nombre de personnages hauts en couleurs, des angles de caméra aussi soignés qu’atypiques et surtout une ultraviolence à la fois élégante et spectaculaire.

Cependant si la référence au maître est facile, elle n’en est pas pour autant évidente. En effet, « A Bittersweet Life » n’est pas un film américain mais coréen ; les ressemblances ne sont donc peut être que fortuites.
Quoi qu’il en soit, les deux films peuvent se targuer de figurer parmi les meilleurs du genre.



« A Bittersweet Life » a été réalisé par Kim Jee Woon, découvert dans nos contrées avec le conte horrifique « 2 Sœurs » et plus récemment avec « Le Bon, la Brute, le Cinglé », son western oriental totalement barré.
Il est difficile de faire un rapprochement entre « A Bittersweet Life » et le reste de sa filmographie tant chacune de ses œuvres se fait différente de la précédente, tant par son ambiance que par sa mise en scène.
Seuls demeurent une caméra omnisciente, dotée d’un formidable champ de déplacement et une esthétique incroyablement léchée, mise en valeur ici par une photographie monochrome de toute beauté.


Impossible de parler du film sans faire le point sur le personnage principal : dans la peau de ce bad guy archétypal, Byung Hun Lee est éblouissant de charisme.
Sa prestation racée et classieuse le classe haut la main parmi les plus beaux gangsters du cinéma.
SunWoo a un visage d’ange et un regard d’acier à les faire toutes tomber.
Sous la menace, il reste monolithique et sûr de lui, confiant dans ses capacités physiques et son rang haut placé dans la mafia. Il est intouchable et il le sait. Mais il sait aussi que la moindre faute de sa part sera sa dernière, et c’est pourtant son épée de Damoclès au dessus de la tête, qu’il déçoit la confiance de ses pairs…
Mannequin de cire sans émotion, il commet hélas la faute au nom de celle pour qui son cœur bat. Dès lors, il prend conscience de sa vulnérabilité : quand sa belle gueule se fait démolir, traîné dans la boue, il suppliera ses agresseurs de l’épargner…
Misérable, meurtri, brisé tant psychologiquement que physiquement, le héros du film n’en est pas un. C’est un monstre dans lequel surnage une parcelle d’humanité.
Cette humanité l’ayant trahie, il n’a plus rien à perdre et c’est tel un ange exterminateur qu’il va rendre coup pour coup.


Intervient alors l’argument principal du film : l’action.
Etonnamment, elle n’est pas si présente que ça dans le film.
En revanche, chaque passage de baston ou de fusillade est une superbe réussite.
Premièrement parce que les combats s’affranchissent des cadors du genre : pas de ralentis à la John Woo, pas d’explosions, pas de câbles (ou très peu), mais des affrontements violents, réalistes et incroyablement brutaux où l’on utilise tout ce qui nous tombe sous la main pour battre son adversaire, que ce soit une brique, une planche enflammée ou une portière de voiture…

Le réalisme des fusillades rappelle le cinéma de Scorcese, mais « A Bittersweet Life » s’inspire visiblement plus de « Old Boy » de Park Chan Wook : même filtre décoloré, même utilisation de la musique classique pour souligner les émotions, même humour noir et même cruauté dans l’action. Mais ici, si humour il y a, il est totalement dérisoire face au destin tragique des protagonistes.
Chaque note humoristique est rapidement contrebalancée par des images d’une férocité sans concession. Mourir n’est jamais drôle.


Chose rare dans ce genre de film ; autant que l’action pure, l’histoire retient vraiment l’attention du spectateur. Ou plutôt la narration. Pratiquement exempt d’ellipses, le montage du film ne nous épargne rien, ne cache rien.
La voix off que l’on retrouve à la fin du film nous indique clairement que SunWoo ne pouvait pas échapper à son destin et que la voie à suivre était la seule.
Loin du romantisme exacerbé qui fait la force des films de John Woo, « A Bittersweet Life » est constamment marqué par une sensibilité et une poésie visuelle qui lui donnent un charme peu commun.




Polar de vengeance violent et stylisé, ce film montre une fois de plus que les cinéastes coréens son capables de damer le pion à n’importe quel blockbuster américain.
La mise en scène harmonieuse et léchée de Kim Jee Woon et le charisme de Byung Hun Lee font de « A Bittersweet Life » une œuvre réellement passionnante.
Et même si la froideur extrême de l’ensemble ne parvient pas à véhiculer toute l’émotion qu’il faudrait au film, la violence des règlements de compte et l’aspect tragique de l’histoire satisfera n’importe quel amateur de Chan Wook ou de Tarantino.
« Une vie douce amère » est une excellente surprise.

Note : ***

The Buddy Holly Story




Buddy Holly débute sur la scène de la patinoire de Ludbrock au Texas. Mais qui voudrait d’un rocker binoclard comme lui ? Même ses producteurs l’incitent à chanter de la country sirupeuse plutôt qu’un rock’n roll déchaîné.
Pourtant, le miracle s’est produit : à Nashville, dans une salle réservée aux Noirs, Buddy Holly remporte un succès considérable. Le premier…




Aujourd’hui, si l’on parle du rock’n roll des années 50 en Amérique, des noms tels que Jerry lee Lewis, Johnny Cash ou encore le King Presley viennent automatiquement à l’esprit. Celui de Buddy Holly moins. Pourtant, Charles Hardin Holley n’est rien de moins que l’un des pionniers du rock’n roll, dont la force créatrice et les innovations musicales auront inspiré des groupes au rayonnement planétaire, à savoir Les Beatles et les Rolling Stones.
Pourquoi alors le nom de Buddy Holly n’est-il pas aussi populaire que ses confrères ?

Eh bien, en réalité, il l’est. D’ailleurs, bon nombre de musiciens lui rendent hommage dans leurs chansons (dont le magnifique « American Pie" de Don McLean).
Mais c’est sa très courte carrière et sa médiatisation moins prononcée que d’autres artistes qui l’ont rendu méconnu du grand public.
Ce film donne l’occasion de se rattraper en (re)découvrant un artiste au talent aussi immense que sa carrière fut brève.


Au cinéma, le biopic (film biographique) n’est jamais sans danger.
Premièrement, comme il est impossible de raconter une existence entière en deux heures de film, le réalisateur et le scénariste doivent procéder à des choix cruciaux à propos de ce qui va être retranscrit à l’écran et ce qui ne va pas l’être.
Deuxièmement, retracer la biographie de quelqu’un de manière la plus exacte possible ajoute le risque de changer le film en « simple » documentaire.
De même que privilégier le jeu des acteurs sans se soucier de la mise en scène apportera hélas un côté monotone et poussif qui portera un coup fatal au film, éclipsant par là même toutes ses qualités.

Steve Rash, le réalisateur de « The Buddy Holly Story », évite avec adresse ces trois obstacles et nous offre un grand moment de cinéma.
En se concentrant uniquement sur la carrière du groupe, il nous plonge directement au cœur du sujet sans passer par une présentation des protagonistes qui n’aurait fait que ralentir le film.
De même, le film se termine à la mort du chanteur. Pas d’épilogue, pas d’enterrement funèbre, rien.
Le scénario a le mérite d’être aussi concis que bien construit et ne part jamais dans des divagations inutiles. L’alchimie entre les acteurs est palpable et les situations ne semblent jamais téléphonées. Quant aux dialogues, ils sonnent vrais, supportent de réelles émotions et sont souvent particulièrement drôles, ce qui rend les personnages terriblement attachants.
On accroche d’autant plus à l’histoire et on prend un réel plaisir à suivre les pérégrinations du groupe. Rien à redire.


En revanche, ceux qui auront à redire sont ceux qui remarqueront toutes les incohérences du film, comparées à la vie réelle de l’artiste. Mais il ne faut pas oublier que « The Buddy Holly Story » est un film avant d’être un documentaire, et donc par nature une fiction. Que certains détails sans importance réelle aient changés ne gênent en rien à la compréhension du film et le fait que d’autres éléments aient été modifiés pour rendre certaines scènes plus captivantes sur grand écran ne peut engendrer qu’un retour positif.
Comme on dit : « quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ».


Le quatrième piège du biopic réside évidemment dans l’interprétation.
Un acteur trop consciencieux risquera de passer un temps fou à observer puis à reproduire chaque mimique, chaque geste de la personne qu’il incarne pour une meilleure authenticité. Le résultat sera celui d’une poupée de cire, sans âme, figée dans ses expressions comme dans ses mouvements.
En revanche un acteur plus informel se contentera d’appliquer à sa gestuelle une certaine ressemblance à son modèle sans pour autant réussir à se cacher derrière son interprétation.

Il faut donc un travail considérable à un comédien pour parvenir à un juste milieu entre une totale personnification de son modèle et une certaine marge de liberté dans son interprétation.
C’est l’exploit que l’acteur Gary Busey relève avec un talent indéniable.
Eternel second rôle d’excellents films d’action (« Point Break », « Predator 2 », « Soldier »), son large sourire psychotique l’a souvent cantonné dans la peau de méchants tueurs, comme dans « l’Arme Fatale ».
C’est d’autant plus étonnant que Busey a débuté sa carrière au cinéma derrière le visage angélique de Buddy Holly...
En tant que Buddy il est juste parfait. Non seulement il imite à merveille le personnage qu’il incarne mais dans le film c’est lui-même qui chante et joue de la guitare.
L’acteur, méconnaissable derrière ses culs de bouteille, s’est investi dans son rôle à 100% et sa prestation enfiévrée lui vaudra une nomination aux oscars en tant que meilleur acteur.

Le reste du casting est lui aussi exemplaire.
Aux côtés de Busey, on trouve Don Stroud et Charles Martin Smith (« American Graffiti ») qui jouent les amis et partenaires de Buddy Holly. Tout comme les autres acteurs qui interprètent des musiciens dans le film, les deux comédiens jouent et chantent réellement lors des concerts et répétitions.
Les séquences musicales sont donc d’un réalisme à toute épreuve.

En parlant de la musique, elle joue évidemment un rôle primordial dans le film et ce n’est pas moins d’une douzaine de morceaux que l’on aura le plaisir d’écouter, tout en admirant la formidable prestation de Gary Busey.
Les chansons vont du romantique « True Love Ways » à l’entêtant « That’ll be the day », en passant par le guilleret « Every Day » et c’est un bonheur sans cesse renouvelé que de voir l’acteur disparaître derrière sa performance.
Si Busey ne sera « que » nominé, la musique du film, elle, remportera un oscar bien mérité.


Mais il arrive toujours un moment où le film doit s’arrêter.
Le temps s’est écoulé sans se faire voir et c’est déjà la fin du concert, et de l’histoire par la même occasion. Ici, la fin apparaît brutale, sans concession.
Le choc est d’autant plus rude que la vie de l’artiste s’est réellement achevée de manière aussi violente et abrupte.
Et c’est les yeux embués de larmes que l’on regarde le générique défiler en maudissant « the day the music died »…



« The Buddy Holly Story » retrace -plus ou moins- fidèlement la carrière d’un des plus grands rockers de son temps. En évitant l’écueil de la biographie monotone et froide, le réalisateur nous livre de superbes séquences riches en émotions, rythmées par des titres inoubliables. Le sourire aux lèvres, la larme à l’œil et la musique dans le cœur, on reste pantois devant la performance d’un Gary Busey qui n’a jamais été meilleur de toute sa carrière.
Un jeune musicien est mort. Une légende est née.

Note : ****