samedi 10 octobre 2009

Persepolis



Téhéran 1978 : Marjane, huit ans, songe à l'avenir et se rêve en prophète sauvant le monde. Choyée par des parents modernes et cultivés, particulièrement liée à sa grand-mère, elle suit avec exaltation les évènements qui vont mener à la révolution et provoquer la chute du régime du Chah.




Comme beaucoup, je n'avais jamais entendu parler de Marjane Satrapi avant la sortie de « Persepolis ».
Peu après, je me suis intéressé à la BD qui a inspiré le film et il faut avouer que rarement adaptation aura été aussi fidèle à son support d'origine.
Comme la BD, le film met en scène des personnages au design simpliste, rappelant le coup de crayon d' Hergé (« Tintin » pour les incultes...), enveloppés dans un noir et blanc fascinant.


Le film, comme la BD, retrace la vie peu commune de Marjane Satrapi depuis son enfance en Iran jusqu'à son arrivée en France.
C'est le récit autobiographique d'une petite fille dont les idéaux et les croyances disparaissent peu à peu sous les décombres et les discours fanatiques.
C'est aussi l'histoire d'une jeune iranienne obligée de quitter sa terre natale pour échapper à la guerre.
Mais c'est en même temps une page de l'histoire, que peu d'entre nous connaissent réellement, racontée par une jeune femme anti-conformiste et moderne qui ne cherche qu'à s'épanouir.


Prenant comme toile de fond la révolution islamiste, « Persepolis » montre comment la guerre et le fanatisme religieux ont bouleversé et asservi une société entière.
La grande force du film c'est qu'il ne dénonce jamais. Il se contente de montrer.
Et de ce fait il fait preuve d'un talent de narration hors du commun.
Tout ce que l'on apprend passe au travers du personnage principal.
Entre les histoires de tonton, les conversations surprises entre papa et maman ou les grands discours à la télé ou à l'école, les informations se mêlent et se bousculent dans la tête de la jeune Satrapi (comme dans la notre), mais on n'en sait jamais plus que son personnage.

Le film lui même est un enchantement visuel de tous les instants.
Il alterne élégamment des moments de pure poésie avec des scènes d'une horreur sans nom, mises en scène de manière étonnament subtiles.

Lorsqu'un flash back nous explique la montée du Chah au pouvoir, c'est par un amusant théâtre de marionnettes façon « L'histoire d'Iran pour les nuls », mais lorsque l'armée ou la foule sont représentées, c'est par de simples silhouettes déshumanisées qui font écho aux vieux films expressionnistes des années 20, dont le célèbre « Metropolis » de Fritz Lang.
On retrouve également ces références à l'expressionisme avec les fondus enchaînés ou avec ces images qui apparaissent soudainement sur un fond entièrement noir.
Et en parlant d'art, difficile de passer à côté de séquences surréalistes dont celle où Marjane saute littéralement d'appartement en appartement et celle de l'histoire de l'oncle, qui prend ses sources dans l'esthétisme gothique.


Mais le film ne renie pas non plus ses origines de BD et surprend avec un missile en vue subjective, comme avec la représentation des visages (voire des corps)des personnages déformés à l'extrême lorsque la situation devient grotesque.
Pas plus qu'il ne s'enferme dans un visuel élitiste : entre les coups de canon et les insultes misogynes, on prend plaisir à reconnaître les caricatures de « Godzilla », « Sissi l'impératrice » ou encore « Terminator 2 », sans oublier la bande son accompagnée des tubes d' « Iron Maiden » et le fameux montage reprenant le « Eye of the Tiger » de « Rocky III ».
Un grand fourre-tout de culture populaire qui ancre le film dans un réalisme évident.



Dans la même veine que la narration et le visuel, les dialogues surprennent autant qu'ils réjouissent.
Si vous croyiez amener les petits n'enfants voir un dessin animé mignon tout plein, reprenez-vous et laissez les bien sagement s'abrutir devant les émissions protéiformes et sagement édulcorées que nous proposent la télévision française...
Biens penseurs de bonne famille et grenouilles de bénitier en tout genre, restez chez vous!

Ici pas de demi-mesure pour satisfaire un public cul-serré et facilement outragé : les « conasse », « fils de pute » et autres « pauvre salope » pleuvent de tous les côtés, et il faut avouer qu'au début ça surprend.
Heureusement, Marjane Satrapi prend le soin de mettre des mots du dictionnaire entre deux insultes (ce qui évite l'écoeurement comme avec ces jeunes de la téci dans le trop sur-estimé « L'Esquive »...).


Les insultes et autres interjections grossières font partie du quotidien et Marjane a eu les meilleures raisons du monde de s'en servir.
Si certains doubleurs manquent de conviction (mais on a du mal à savoir si c'est intentionnel ou pas...), les dialogues sonnent vrais et c'est bien là le plus important.
Le monde dépeint par Satrapi n'en est que plus crédible et cohérent, et puis, avouez, comment résister à cette grand-mère loufoque et à son franc-parler?



Du côté historique, on peut se pencher sur la question du vrai ou faux mais je ne pense pas que Marjane Satrapi ait beaucoup romancé son histoire pour seul pretexte que l'on s'appitoie sur son sort. Mais après tout, ce n'est qu'une oeuvre de fiction.
On sent que « Persepolis » est avant tout une façon pour elle d'exorciser ses démons et de se libérer de son passé.
Son histoire est dure, parfois cruelle, souvent triste et il lui fallait bien ça pour continuer à aller de l'avant sans renier ses origines.
Elle en profite d'ailleurs pour régler quelques comptes au passage et nous ouvrir les yeux sur un conflit qui nous semble bien familier mais dont on sait en réalité bien peu.




La révélation française de l'année dernière est aussi un dessin animé magique, une histoire drôle et poignante et un pamphlet cynique sur le fanatisme religieux, l'intolérance et le regard européen sur un conflit qui le dépasse totalement.
Servie par des personnages remarquables de vérité, mis en scène avec un talent sans égal dans un noir et blanc épuré de toute beauté, « Persepolis » est l'un des plus beaux films d'animation jamais porté sur un écran!

De par son esthétique déroutant et son ambiance adulte unique, « Persepolis » est une oeuvre majeure qui fera date.
Le cinéma français n'est pas mort mais il fallait une jeune iranienne pour nous le prouver...

Note : ****

New York 1997




En 1997, Manhattan est devenu une immense prison ghetto.
Victime d'un attentat, l'avion du président des Etats Unis s'écrase en plein dans la ville. Snake, un dangereux criminel, est chargé de partir à sa recherche en échange de sa grâce. Parachuté en plein coeur de Manhattan, il dispose de 24 heures, au bout desquelles une micro-bombe greffée sur son cerveau explosera...




Après le terrifiant film d'horreur « The Fog », John Carpenter change totalement de registre pour s'adonner à la science fiction d'anticipation.
Plus qu'un thriller, « New York 1997 » est un grand film d'aventure, mis en scène avec justesse et intelligence.

Pour ce film, Carpenter a pris un gros risque car, en adoptant un sujet de base qui nécessite un budget important, il doit parvenir à ses fins avec des moyens bien plus réduits. Adepte de la débrouille et du système D, le cinéaste réussit malgré tout à réaliser un film cohérent et visuellement crédible avec un peu de jugeotte et un formidable travail de mise en scène.

Par exemple, n'ayant pas l'argent suffisant pour filmer un crash d'avion, il se contente de nous le montrer par l'intermédiaire d'un écran d'ordinateur.
Les mêmes écrans serviront par la suite à représenter les vues aériennes de New York alors qu'un planeur survole la ville.
En économisant ainsi sur ces scènes en apparence plus coûteuses, Carpenter peut se permettre d'utiliser son budget autrement, notamment au niveau des décors.

Et ce n'est pas peu dire que les environnements de « New York 1997 » sont parmi les plus impressionnants jamais vus au cinéma. La Grosse Pomme n'est plus qu'un bidonville géant où s'entassent détritus et carcasses de voitures.
La nuit, les quartiers délabrés ne sont plus éclairés que par les flammes laissées par quelque cocktail molotov. Les résidents qui s'y trouvent ne sont que des loubards ghettoisés, sans état d'âme, assoiffés de sang et de violence.
Leurs seuls plaisirs, en dehors du sexe et des drogues, reste le théâtre, pour les rares illuminés qui l'apprécient encore, et les combats de gladiateurs.

Et pour le coup, Carpenter s'amuse à recréer l'ambiance nerveuse de la Rome antique en la transposant dans un monde futuriste, ce qui n'enlève en rien à la sauvagerie des combats.
Avec l'aide de son célèbre directeur de la photo, Dean Cundey, Carpenter élabore des images sophistiquées, sublimées par des éclairages menaçants et une ambiance malsaine à souhait.
Grand maître du suspense, il joue habilement sur les zones d'ombre et les silences angoissants afin de maintenir une tension constante. Le danger de cet univers carcéral dans lequel on se retrouve plongé est tangible et plus qu'un simple décor, la grande cité en ruines acquiert une vraie personnalité jusqu'à se placer au même niveau que les protagonistes.


Protagonistes joués une fois n'est pas coutume par des habitués de Carpenter, dont Donald Pleasance ("Halloween", « Prince des Ténèbres ») dans la peau d'un président hautain et antipathique et la belle Adrienne Barbeau (« The Fog »), au caractère bien trempé. Parmi les nouveaux venus, le film fait la part belle à Isaac Hayes, imposant leader des prisonniers et Lee Van Cleef (« Le bon, la brute et le truand ») en comissaire déloyal et sournois.

Mais le vrai héros du film c'est bien sûr Snake Pliskin interprété par le toujours génial Kurt Russel, qui joue l'un de ses premiers grands rôles.
Russel, qui reste certainement l'acteur fétiche de Carpenter (au moins quatre films ensemble à leur actif), campe ici l'un des personnages les plus connus et les plus charismatiques du réalisateur. Charisme rehaussé par les remarquables compositions de Carpenter, qui signe, avec le thème principal du film, l'une de ses meilleures mélodies.

Pliskin n'est pas un héros américain classique comme on se l'imagine.
Il n'a rien du flic chargé de la protection du président : c'est un criminel qui ne cherche qu'à obtenir sa liberté. Il n'est mû par aucun élan patriotique mais doit accomplir sa mission afin de survivre à une mort programmée par ses commanditaires eux mêmes...
Instinctif et brutal, il ne possède pas non plus cette morale typique des grands héros hollywoodiens et pour lui, quiconque se met en travers de sa route est une cible à abattre. C'est donc bien à un anti-héros peu commun et anticonformiste à qui l'on a affaire.

Ce hors-la-loi légendaire (sa réputation le précède) deviendra par la suite une importante source d'influence pour bon nombre de cinéastes et même le japonais Hideo Kojima, l'illustre créateur du jeu vidéo « Metal Gear Solid », reprendra le personnage en hommage au film. Preuve que le talent de Carpenter ne connait pas de frontières...


Une fois n'est pas coutume, malgré ces indéniables qualités, « New York 1997 » est un four à sa sortie. Le public américain n'appréciant pas d'être si ouvertement critiqué, cette version cynique et satirique de la société mise en scène par Carpenter est loin d'être au goût de tous. De plus, le film sortant à l'époque du scandale du Watergate, l'image que l'on y fait du président est loin d'être flatteuse, ce qui n'encourage pas le public à aller voir le film...
C'est souvent ça le problème avec Carpenter : des films excellents mais qui sortent à une période qui ne correspond pas aux attentes du public et qui se soldent par des échecs commerciaux.


Le film a beau avoir vieilli, il n'en reste pas moins d'actualité : un avion, une tour, un crash...
Et si les sceptiques considèrent que la date des évènements (1997) n'est désormais plus crédible du tout, pensez simplement à Kubrick et à son « 2001, l'Odyssée de l'Espace ».


Partant avec un scénario basique et un budget minimaliste, Carpenter parvient à créer des décors post apocalytiques sidérants de réalisme, sublimés par une mise en scène brut de décoffrage pour nous livrer l'un de ses films les plus marquants visuellement.
Le personnage de Snake Pliskin deviendra au fil du temps une icône du cinéma de genre et « New York 1997 » demeure le seul film dans la carrière de Carpenter qui connaîtra une suite.


Note : ***