mardi 8 février 2011

Black Swan



Rivalités dans la troupe du New York City Ballet. Nina est prête à tout pour obtenir le rôle principal du Lac des cygnes que dirige l’ambigu Thomas. Mais elle se trouve bientôt confrontée à la belle et sensuelle nouvelle recrue, Lily...


Si je vous dis de penser au Lac des cygnes, il est très vraisemblable que vous aller voir défiler devant vos yeux des jeunes filles en fleur à la légèreté peu commune, des tutus affriolés difficile à porter dans la rue et des soupirants bondissants aux costumes un peu trop étriqués au niveau de la ceinture. En revanche, peu d’entre vous songeraient à associer de classique de la danse qui ne l’est pas moins à des thèmes moins recommandables tels que la schizophrénie, la bisexualité, l’abandon de soi à travers la consommation de drogues, ou encore l’onanisme féminin. Tout le contraire du réalisateur Darren Aronofski qui s’en donne à cœur joie en abordant sans retenue les sujets précédemment cités…

Méconnu du grand public, Aronofski n’en reste pas moins une figure de proue du cinéma indépendant. Difficile en effet d’oublier le cultissime « Requiem for a Dream », ses personnages pris dans une spirale infernale et sa musique obsédante. Après un passage à vide de quelques années suite à l’échec commercial de « The Fountain », le cinéaste est revenu sur le devant de la scène avec l’émouvant « The Wrestler » prouvant à ses détracteurs qu’il en avait encore dans le ventre.

Et dans « Black Swan » en avoir dans le ventre, c'est que l'on demande au spectateur pour supporter ce qu'il voit à l'écran. Car si l’univers du ballet et du catch n’ont à priori rien en commun, le film partage de nombreuses similitudes avec son prédécesseur, et spécialement dans la démonstration des capacités physiques intenses des comédiens. En s’approchant au plus près des danseuses, Aronofski nous dévoile la dure réalité des répétitions. Ici les côtes fêlées et les os broyés des lutteurs sont simplement remplacés au pied levé (c’est le cas de le dire) par les tendons étirés à l’extrême, les ongles écrasés et autres déchirures musculaires assez désagréables et peu ragoûtantes. Cette plongée dans les coulisses de la danse nous dévoile un univers finalement peu connu où la vie n'est certainement pas aussi rose que sur les planches. Les danseuses doivent s'entrainer sans relâche, souvent au détriment (voire au mépris) de leur propre corps, pour à la fin atteindre la perfection dans leurs gestes les plus infimes.

Et c'est bien à cette perfection que tend Nina, jeune danseuse mal dans sa peau et psychologiquement instable, interprétée – à la perfection pour sûr – par Natalie Portman. Révélée à 11 ans (!) aux côtés de Jean Reno dans « Léon », l'actrice n'a depuis cessé de prouver son talent, jonglant sans peine entre blockbusters commerciaux (la nouvelle trilogie Star Wars) et films au budget plus intimistes, entre drame (« Brothers ») et comédie (« Garden State »).

Sa carrière, courte mais prolifique, lui vaut l'admiration des critiques comme du grand public et l'affirme comme l'une des comédiennes les plus talentueuses de sa génération. Grâce à sa prestation dans « Black Swan », elle a déjà remporté le Golden Globe de la meilleure actrice et il est possible que la fameuse statuette tant convoitée lui soit enfin accordée. C'est que pour jouer Nina, Portman s'est physiquement métamorphosée afin d'effectuer elle même les nombreux pas de danse demandés dans le film. Mais plus que dans le jeté et les pas de deux, c'est bien dans son jeu que l'actrice se révèle la plus surprenante. Maitrisant à merveille la dualité de son personnage, elle se fait d'abord vulnérable et prude avant de nous dévoiler un côté cruel insoupçonné et une sensualité exacerbée.

Tantôt fragile, tantôt effrayante, l'actrice ne recule devant aucun tabou et déploie une palette d'émotion impressionnante mais toujours juste. Nina est sans conteste le plus grand rôle de l'actrice à ce jour. Et si Portman est de tous les plans, on retiendra également les interprétations superbes de Mila Kunis (sexuelle et libérée), Barbara Hershey (mère sur-protectrice et désespérée à mi chemin entre « Requiem for a Dream » et « Carrie ») et de Vincent Cassel (suintant de virilité). Sans oublier la courte apparition de Winona Ryder dans une scène qui marquera les esprits.

Mais autant que les comédiens, « Black Swan » ne serait rien sans les talents derrière la caméra. Loin des mondes féériques et enchanteurs que décrit la danse classique, le film nous plonge dans un univers malsain et glauque où sexe et perversion sont rois. En privilégiant des couleurs criardes, des images crues et un grain photoréaliste, Aronofski instaure un malaise constant qui n'est pas sans rappeler l'univers poisseux de Gaspard Noé (« Irréversible »). Caméra à l'épaule, il adopte un style quasi documentaire qui renforce l'impression de faire partie intégrante de la scène. La caméra ne quitte jamais les acteurs des yeux, nous dévoilant tout de leur intimité. Le spectateur devient alors voyeur et le mal être n'en est que plus intense. Mal être accentué par la musique incessante et obsessionelle du compositeur attitré du réalisateur, Clint Mansell.

On pourra reprocher au scénario de « Black Swan » d'être un peu trop simpliste. Mais ce n'est qu'une apparence. Alors qu'il s'agit aux premiers abords d'une vulgaire relecture du Lac des cygnes, « Black Swan » joue entièrement sur la dichotomie cygne noir/cygne blanc, et de ce fait sur les deux personnalités de l'héroine. Mais là encore, difficile d'y voir clair. Abusant d'un ingénieux jeu de miroir, d'hallucinations terrifiantes et d'un maquillage outrancier (plusieurs clin d'oeil au cinéma de Cronenberg), Aronofski brouille habilement les pistes dès le début à propos de ce qui est réel et de ce qui ne l'est pas. Ainsi, l'histoire basique instaurée lors du spectacle de danse se mue en un de ces labyrinthes scénaristiques vertigineux à la David Lynch où aucune sortie n'est visible. Pour ceux qui ont passé des jours à se triturer les méninges pour tenter de décrypter la fin d'« Inception » (tombera, tombera pas?), les dernières minutes de « Black Swan » vous promettent de nombreuses nuits blanches supplémentaires.




Sex, drugs et danse classique. Profondément dérangeant mais aussi terriblement excitant, « Black Swan » sonde les tréfonds de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus noir. Les thèmes abordés, l'univers sombre et sordide et certaines scènes à la limite de l'écœurement ne rendent définitivement pas le film abordable au tout public. D'après un des personnage du film : « le ballet n'est pas ennuyeux. C'est juste pas pour tout le monde ». On peut dire de même pour « Black Swan ». Mais passer à côté, c'est risquer de manquer l'un des meilleurs films de l'année et la performance exceptionnelle et bouleversante d'une actrice qui donne le meilleur d'elle même pour supporter un scénario d'une rare maturité.


Note: ****