vendredi 22 juin 2012

Prometheus

Carapace reptilienne faite d'acier et d'ossements, queue fourchue squelettique fouettant l'air, membres émaciés et griffus, crâne dénué de vision, doubles rangées de dents acérés comme des poignards et mâchoire interne rétractile et baveuse. Avec ses caractéristiques physiques uniques, l'Alien fait partie des icônes inoubliables de la science-fiction. Mais si sa renommée demeure, c'est plus pour son design légendaire que pour les innombrables films qui l'ont engendré. Alors que le film original de Ridley Scott et la digne suite de James Cameron continuent de marquer les esprits pour leur qualité indéniable, les volets suivants de ce qui se vaut aujourd'hui comme une Quadrilogie ne cesseront de décevoir le public et les critiques. En effet même si Alien 3 et Alien : Résurrection instaurent tous deux une ambiance poisseuse et glauque du plus bel effet, ils demeurent bien en deçà de leurs prédécesseurs. Et le coup fatal sera porté par les déplorables cross-over Aliens VS Predators, qui dans un élan d'auto-satisfaction commerciale (rendre les films accessibles aux plus jeunes en édulcorant la violence) parviendront à détruire deux des plus grandes licences du cinéma. Pourtant, les fans de la première heure demeurent et restent fidèles aux premiers films, espérant en vain une suite digne de ce nom. Mais quand les plus grands réalisateurs contemporains – Fincher et Jeunet – et les moins grands – W.S. et les Frères Strause - ne parviennent pas à renouveler la série. Peut être serait il plus sage de laisser la bête reposer en paix une bonne fois pour toute en hibernation cryogénique. Cependant, quand Ridley Scott annonce qu'il va reprendre le flambeau, l'intérêt est de taille mais les enjeux aussi. Car si le père fondateur de la saga est bien entendu le mieux placé pour développer un univers qu'il a lui même créé, s'il échoue dans sa tache, personne n'y parviendra. En revanche, si le réalisateur décide bien de reprendre l'univers d'Alien, il clame haut et fort que la créature lui même n'apparaitra pas. La déclaration fait l'effet d'une supernova, la curiosité et l'attente du film sont à leur paroxysme, d'autant que Scott ne laisse filtrer les informations sur le scénario qu'au compte goutte. On y apprend que le film sera écrit par Damon Lindloef, le créateur de Lost, pour qui mysticisme rime avec pessimisme, qu'il sera un préquel de la saga et qu'il y serait question de l'origine de l'humanité. Rien que ça. Avec un réalisateur solide, un scénariste brillant et spécialisé dans les rebondissements dramatiques, une histoire alléchante et innovante, Prometheus est rapidement devenu l'un des films les plus attendus de ces dix dernières années. Et si le célèbre xénomorphe brille par son absence, le film lui même s'annonçait comme un monstre en puissance, prêt à écharper vif ses concurrents du box office. Autant dire qu'avec des attentes aussi élevées, plus haute sera la chute. En 30 ans de carrière, Ridley Scott a bien changé. A la base réalisateur de publicités pour le petit écran, la patte du cinéaste est avant tout visuelle. Entre les couloirs étroits et enfumés d'Alien, les toits de Blade Runner, baignés par la pluie et les néons, ou encore les déserts brulants de Gladiator et Black Hawk Down, dévastés par un soleil de feu, ses meilleurs films ont tous une forte identité visuelle. Mais pour exister, le réalisateur a besoin d'espace et d'une histoire riche en mouvements. Au contraire, quand il s'essaie à des thèmes plus intimistes, comme les tribulations viticoles d'un homme d'affaire dans le Sud de la France (Une belle Année), l'histoire qu'il raconte possède autant de subtilité qu'un char d'assaut sur un périphérique. La vue y est certes impressionnante mais on fait principalement du sur-place et la liberté d'action est plutôt restreinte. Étonnamment, Prometheus regorge d'environnements grandioses et de couloirs ténébreux, propices à une grande richesse visuelle, mais l'histoire elle même aurait nécessité un doigté plus important. Et c'est là que le réalisateur se mélange les pinceaux. A ne jamais savoir s'il doit se restreindre dans les moments les plus intimes ou se lâcher complètement pour nous en mettre plein la vue, il fait dans la demi mesure et s'englue dans une identité totalement neutre et dénuée de sens artistique. Et de ce fait, aussi terrifiantes que soient les situations, l'horreur nous échappe complètement. Quand le Alien original nous cloue au siège par ses moments de terreur brusques en nous noyant dans une atmosphère étouffante et claustrophobique, Prometheus nous ennuie avec des descriptions interminables de lieux souterrains, entrecoupées de rares scènes choc, involontairement grotesques et de mauvais goût. D'une part la platitude de la mise en scène ne parvient jamais à mettre en valeur la magnitude des décors (au design primaire mais intéressant), de l'autre il tente de nous réveiller brutalement avec des moments d'une rare violence mais qui, au lieu de la patte de rhinocéros du cinéaste, auraient bénéficié d'une tension plus soutenue à la manière d'un John Carpenter. Il est d'ailleurs à noter que les deux meilleures scènes du film (l'attaque des infectés brulés au lance flamme et la séquence finale où l'héroïne se retrouve dans le vaisseau dévasté, à moité aveuglée par les câbles électriques qui grésillent autour d'elle) sont des références faciles à l'univers angoissant de Carpenter (The Thing et le jeu vidéo Dead Space, dont les monstres sont une référence directe). Enfin, s'il ne serait pas honnête de reprocher au réalisateur l'absence de l'Alien, elle se fait cruellement sentir car les monstres du film sont loin de bénéficier d'une touche artistique aussi approfondie. La patte de H.R. Giger est définitivement de l'histoire ancienne et toutes les tentacules en images de synthèse du monde ne sauraient faire oublier un design réussi. Plus important encore, la rareté de leurs apparitions est d'autant plus marquante que ces créatures ne représentent pas une réelle menace pour les protagonistes, car dénuées de but concret. Les héros se contentent généralement de fuir sans savoir exactement ce qu'il se passe. De même si le scénario cherche réellement à être intelligent, il prend trop de temps à attirer les premiers rebondissements pour nous tenir captivés et s'embourbe rapidement dans un fourre-tout artistique où la moitié de l'histoire demeure inexplorée et sans résolution. De plus si le film développe effectivement un lien intéressant avec la saga originelle, les connections se font aléatoires et de manière paresseuse. Là où la plupart des références sont des indices essentiels pour comprendre l'origine mythologique de la série, les autres sont de simple clins d'oeil pour les fans, sans véritable intérêt scénaristique. Il est également dommage que pour un film qui traite du sujet crucial de la naissance de notre espèce, autant de questions demeurent sans réponse et que les scénaristes se contentent de nous ressortir les grosses ficelles du blockbuster américain bas de plafond lorsqu'ils se retrouvent dans une impasse. Lindloef nous apporte la boîte de Pandore dans un écrin d'argent, prend tous les soins du monde à l'ouvrir délicatement et donne ensuite un grand coup de pied dedans pour en déverser le contenu. Et ce n'est pas le casting qui sauvera le film. Malgré la présence de nombreuses têtes d'affiche, les personnages n'ont aucun charisme, alignent des dialogues emplis de clichés, et les acteurs qui les incarnent sont totalement en roue libre. Michael Fassbender fait un androïde au gestes mesurés et au regard inquiétant mais le potentiel de son personnage est bien en deçà de ses compétences d'acteur, Charlize Théron joue une femme indépendante et autoritaire sans pour autant parvenir à lui donner un peu d'humanité (à l'inverse de ses rôles dans Monster ou Snow White and the Huntsman) et meme Guy Pearce sous une tonne de maquillage n'arrive pas à faire mieux que du Guy Pearce sous une tonne de maquillage. Malgré leurs capacités, les acteurs ne parviennent jamais à s'effacer derrière leur personnage ce qui nous empêchent de s'attacher à eux. Du coup, les protagonistes tombent comme des mouches sans pour autant nous faire verser la moindre larme. Leur sacrifice nous laisse de marbre. L'ambiance du film en est vite réduite à peau de chagrin. Et bien que Noomi Rapace a subjugué les foules dans la peau de la punkette hackeuse de la trilogie The Girl With the Dragon Tattoo, prouvant qu'elle sait jouer les femmes fortes et volontaires, elle ne pourra jamais faire oublier la performance de Sigourney Weaver, qui reste au même titre que la créature, l'égérie de la saga. Si Prometheus cherche à révolutionner l'origine de l'humanité, il ne révolutionne certainement pas le genre de la SF. Filmé dans un style outrancier alors qu'il aurait mérité plus de finesse, écrit de manière pompeuse à défaut d'intelligente, joué sans vraie conviction par des acteurs de renom, Prometheus manque à la fois d'intérêt, d'ambiance et de rythme. Le film soulèvent de multiples interrogations mais se contente de les laisser trainer jusqu'à une fin ouverte d'une platitude affligeante. En voulant créer une origine à la saga qu'il a lui même débuté, Ridley Scott rejoint son confrère George Lucas dans le club des « c'était mieux avant ». Espérons qu'il ne décide pas d'en faire une trilogie. Note : *

lundi 4 juin 2012

Snow White and the Huntsman

Dis maman, tu me racontes une histoire? Ce qu'il y a de bien avec les contes pour enfants, c'est leur portée universelle. C'est le fait que chacun puisse se laisse guider par son imagination fertile pour visualiser et mettre en scène une histoire racontée selon son propre ressenti. Il est d'autant plus intéressant que notre perception de ces mythes et légendes de nos enfances se distord avec le temps. L'âge aidant, les contes de fées perdent peu à peu leur innocence et on se rend compte alors que le pays merveilleux de Lewis Carrol tient moins des rêves apportés par le marchand de sable que des trips au LSD, et que des auteurs tels que les Frères Grimm nous entrainent dans un univers bien plus noir et glauque que Disney le laisse entendre. Prenez Blanche Neige par exemple. En dehors d'une jouvencelle naïve et mièvre, allergique à la pectine qui chante avec les oiseaux et d'une demi douzaine de petits barbus asexués, pour qui crever de sueur en martelant des murs avec une pioche de l'aube au coucher du soleil est aussi plaisant que d'aller à la pêche, on y parle quand même d'une vieille mégère suffisamment jalouse pour demander qu'on lui rapporte le cœur de sa rivale tout chaud sur un plateau. Aujourd'hui, on la mettrait dans la cellule voisine d'un type qui déguste le foie de ses congénères avec un excellent chianti. En d'autres termes, si l'on occulte la version dessin animé de notre enfance, le potentiel horrifique du conte de Blanche Neige nous saute tout de suite au visage. Et les cinéastes n'ont pas attendu la mode actuelle des héros « dark » et gothiques pour s'approprier l'histoire de la pauvre cruche et de la pomme empoisonnée et en tirer une version plus adulte. Certains se souviendront peut-être du film «Snow White, a tale of terror » avec une Sigourney Weaver machiavélique dans le rôle de la reine cannibale. Si le film reste décevant à bien des égards, il offrait une atmosphère sordide et poisseuse qui contrastait assurément avec la version commerciale que tout le monde connait. On pourrait également citer une autre version pour adultes, mais passons... Côté Hollywood, on assiste actuellement à un manque flagrant de nouveauté au niveau des sorties. Plutôt que de risquer quelques billets verts dans des histoires inédites, les gros producteurs se jettent sur toutes les adaptations possibles pour les porter sur grand écran avant leurs concurrents. Comic books, séries de romans à succès, jeux vidéo, remakes et suites interminables s'enchainent sans répit depuis déjà quelques années car il est toujours plus aisé d'attirer un grand public qui baigne déjà dans un récit qu'il connait que de lui demander de sauter le pas vers l'inconnu. Après le carton au box office de la version d'« Alice au pays des Merveilles » de Tim Burton, apprêtez vous donc à voir débarquer des contes de fée next gen comme s'il en pleuvait. Comble du ridicule, ce n'est pas une mais deux adaptations de Blanche Neige qui prennent d'assaut les écrans, et ce le même mois. Ce qui montre bien à quel point le 7ème art commence vraiment à tourner en rond. Cependant, si les deux films mettent bien en scène les mêmes personnages, leur réalisateur respectif démontre une approche qui leur est propre et qui ne saurait être plus opposée. Quand le « Mirror, Mirror » de Tarsem s'englue dans l'humour bon enfant et les couleurs pastels et se destine à un public enfantin, « Snow white and the Huntsman » propose une relecture du conte bien plus violente et ancrée dans une ambiance d'héroic fantasy à la Seigneur des Anneaux. Avec son parti pris plus réaliste, « Snow white and the Huntsman » aurait pu donner naissance à une œuvre tragique et sanglante à la maturité assumée. Mais le film étant avant tout un produit de consommation calibré pour adolescents (qui se rueront en masse pour voir la nouvelle aventure de l'héroine de Twilight), les dialogues sont loin de briller par leur intérêt. Cependant, on pourra noter une absence d'humour assez inhabituelle pour le genre. Si le film se force parfois à nous faire esquisser un sourire, il demeure empreint d'une tension et d'un sérieux assez rafraichissants. Mais malgré tout l'histoire elle même demeure au final assez conventionnelle. Les grandes lignes sont respectées et laissent peu de place à la surprise : fuite de Blanche Neige dans la foret, découverte des nains, pomme, baiser mortuaire (bande de nécrophiles!) et restauration de la paix dans le royaume. Tout comme la pomme, rien de bien nouveau donc à se mettre sous la dent. C'est d'ailleurs là le point faible du film. A connaître la fin de l'histoire avant même que le film ne démarre, on n'accorde que peu d'attention aux menaces potentielles qu'affronte l'héroïne car on la sait sans danger. Et à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. D'autant que si les personnages sont nombreux, leur développement personnel laisse parfois à désirer. Si la reine à droit à un flash back touchant dévoilant l'origine tragique de ses pouvoirs maléfiques, les nains auraient sans doute mérité plus que quelques gros plans et une poignée de lignes de dialogues chacun pour permettre de mieux les différencier. Néanmoins, en dehors de certains passages poussifs, la narration se déroule sans à coup et l'on se prend rapidement à suivre les péripéties de nos héros. Surtout que le casting, lui, est de qualité. Si Kristen Stewart peine à nous faire ressentir ses émotions, elle démontre une certaine assurance qui lui donne du charme. Chris Hemsworth, bourru mais charismatique, confirme tout le bien que l'on pense de lui depuis « Thor » et ne se contente pas de simplement troquer son marteau contre une hache. Si l'on ressent fortement le manque de présence des nains, c'est qu'ils sont tous joués par des acteurs de renom (Bob Hoskins, Ray Winstone, Toby Jones, Nick Frost...) et on apprécie vraiment leur compagnie. Mais on retiendra surtout la performance à la fois sauvage et glaciale de Charlize Théron. Sa reine démoniaque et sadique, obsédée par son désir de beauté éternelle tient autant de la belle mère impérieuse de Disney que de la comptesse Bathory. Une vraie sorcière de cauchemar. Pourtant l'actrice réussit à saisir parfaitement les nuances du personnage et parvient même à nous faire éprouver de l'empathie pour cette femme rendue folle (le fameux miroir au mur n'est qu'un fragment de son esprit dérangé) par sa poursuite éperdue vers une jeunesse qui ne cesse de l'abandonner. Mais plus que pour l'histoire elle même, c'est par son aspect purement visuel que le film impressionne réellement. On pourrait reprocher au réalisateur d'accumuler des références évidentes aux plus grands titres de la Fantasy moderne. C'est bien simple on commence avec une charge héroïque dans le brouillard (« Gladiator »), on continue avec une poursuite en foret entre Blanche Neige sur son cheval blanc et des cavaliers noirs («  La Communauté de l'Anneau ») qui se termine quand le cheval s'enfonce dans les marécages (« L'histoire sans Fin »), on découvre ensuite le monde caché des êtres de la foret - dont un cerf majestueux (« Princesse Mononoké ») et on finit en chevauchant à bride abattue sur la plage sous les volées de flèches et d'artillerie lourde (« Robin Hood »). Sans oublier des armures étincelantes pour les héros empruntées à « Excalibur » et les costumes d'ébène de l'armée de la reine sortis tout droit de « Willow ». Mais si « Snow white and the Huntsman » ne ressemble pas à un patchwork sans âme qui se contente de compiler les meilleurs moments d'autres films, c'est parce que le cinéaste s'est entouré d'une équipe artistique remarquable qui gratifie le film d'un design exceptionnel. Le réalisateur parvient à créer un monde à la fois lumineux et empli de ténèbres, réaliste et féérique où l'on y croise les créatures les plus enchanteresses et les plus terrifiantes. Sans oublier de nous plonger au coeur de batailles saisissantes. En effet, le mot action n'est généralement pas le mot qui nous vient à l'esprit lorsque l'on pense à l'histoire de Blanche Neige, mais ici elle est partie intégrante du scénario. Les affrontements subissent malheureusement le phénomène de la caméra parkinsonienne, mais le film offre de sacrés moments de bravoure. Et si le sang coule peu (jeune public oblige), les combats n'en restent pas moins brutaux et spectaculaires. Quant à la musique, à défaut de bénéficier d'une approche artistique aussi originale que le travail visuel, elle accompagne efficacement l'action et les moments les plus intimistes. « Snow white and the Huntsman » est une agréable surprise. Porté par un casting de haute volée et une approche plus dramatique que d'accoutumée, le film brille surtout par une direction artistique inquiétante et envoutante. En dépit de quelques défauts flagrants, il possède un souffle épique indéniable et, pour une relecture modernisée du genre, pourrait bien s'avérer comme la plus fascinante adaptation du célèbre conte des Frères Grimm. Et surtout, personne ne chante. Note : ***