samedi 7 mars 2009

Crève Smoochy, crève!




Rainbow Randolph, la vedette d'un spectacle TV populaire pour enfants, est renvoyé à la suite d'un scandale de pot-de-vin. Il est remplacé par Smoochy le rhinocéros. Alors que le show de Smoochy explose les indices d'écoute, Randolph prépare sa vengeance...

« Crève Smoochy Crève » est le nouveau film de Danny DeVito (« La Guerre des Roses », « Balance Maman hors du train »).

En plus d'être un excellent acteur, il prouve une fois de plus qu'il est aussi un réalisateur talentueux.

La mise en scène extravagante souligne le côté farfelu des personnages.
De Vito enchaîne les fondus enchaînés, les plans en accélérés et les angles biscornus sans pour autant tomber dans la surenchère. Ses plans sont beaux, précis et mettent en valeur une explosion de couleurs permanante.

Explosion de couleurs qui contraste avec la noirceur du scénario. Si on ne prendra pas le risque de comparer les films de DeVito à ceux de Paul Schrader (« Affliction », « Hardcore »), il faut reconnaître que c'est bien le dark side de l'âme humaine qui intéresse le plus le réalisateur.

Le film est une satire acerbe du monde du showbiz et en particulier celui de la télévision.
Les personnages ont beau présenter une émission pour les enfants, seul le pognon les intéresse.
Face à la caméra, tout le monde chante et danse mais ce n'est qu'un écran de fumée : les gros studios ne parlent que de merchandizing et les vedettes elles mêmes sont de vrais ordures sans états d'âme.

Alors quand un animateur intègre (Edward Norton) se met en travers de leur route, les requins de la finance montrent les dents.
S'ensuit une série de meutres qui implique entre autre un ancien boxer un peu bênet, des membres de la mafia irlandaise, un tueur à gage narcoleptique, un fou furieux avide de vengeance et un adepte de la culture bio...

Une série de personnages gratinés dont deVito en a fait sa spécialité.

Le casting est une vraie surprise.
Edward Norton, plus habitué aux personnages durs et violents (« Dragon Rouge », « Fight Club », "American History X"), surprend en incarnant ce joyeux huluberlu qui ne cherche qu'à faire le bien autour de lui.
Naïf, niais et débordant de gentillesse, l'acteur prend un malin plaisir à casser son image.

Dans le film, Catherine Keener ("Into the Wild") y est insolente, grossière et totalement décontractée. Une performance géniale qui ne laisse certainement pas indifférent et qui éclipse la plupart des autres acteurs, dont Robin Williams justement.

Robin Williams est connu pour ses talent comiques allant de la grosse farce (« Madame Doubtfire ») jusqu'à l'ironie poétique (« Le cercle des poètes disparus »).
Cette fois on penche pour le premier cas tant l'acteur surjoue. Il en fait des tonnes mais peine à rendre son personnage convaincant.
Néanmoins, on voit qu'il s'amuse à interpréter cet hystérique pervers et détestable et on ne lui en tiendra pas rigueur en se laissant porter par les dialogues savoureux.

Souvent vulgaires, les répliques n'en sont pas moins tordantes et les prises de becs entre Norton et Keener sont sans conteste les meilleurs moments du film!

En lui même, le film alterne les hauts et les bas mais se révèle bien supérieur à ce que sa mauvaise réputation laisse entendre.

Du point de vue artistique, DeVito livre des images impeccables et va même jusqu'à donner au film des allures de vieux polar.

Le scénario est intelligent mais surprend rarement, la mise en scène est originale sans conférer au génie, les acteurs sont bons en dépit d'un Robin Williams en roue libre.

Le film vaut surtout pour ses répliques « fleuries » et le changement de registre des acteurs.
Quant au couple Norton/Keener, il fait de parfaites étincelles!

Avec « Crève Smoochy crève » DeVito ne « changera pas le monde mais il peut y laisser une trace ». Alors, donnons lui une chance.

Note : **

Dejà Vu



Alors qu'il enquête sur l'explosion d'une bombe sur un ferry à la Nouvelle Orléans, l'agent Doug Carlin se voit enrôlé au sein d'une nouvelle cellule du FBI ayant accès à un appareil gouvernemental top secret permettant d'ouvrir une "fenêtre sur le temps", et ainsi de retrouver les preuves nécessaires à l'arrestation d'importants criminels.



Le jeu de mot n'est même pas drôle tant il est facile mais « Dejà Vu » a vraiment un air de déjà vu...

Les voyages dans le temps sont courants au cinéma comme en littérature, et ce depuis « La machine à remonter le temps » de H.G. Wells qui date déjà depuis un moment.

Quand au thème de la police temporelle, le film a un léger temps de retard.
Le problème de « Paycheck » (entre autres...) c'est d'arriver après le « Minority Report » de Spielberg.
Le problème de « Dejà Vu » c'est d'arriver BIEN après « Minority Report ».

Mais là où Spielberg nous plongeait dans un thriller palpitant et remarquablement réussi, tant sur le point visuel que scénaristique, « Deja Vu » ne se différencie en rien d'un énième blockbuster policier à l'américaine.

Visuellement d'abord le film baigne constamment dans une mer de couleurs saturées, véritable marque de fabrique des séries policières récentes qui envahissent le petit écran. On a l'impression de regarder un épisode des Experts.
Pas étonnant quand on sait que le film a été produit par Jerry Bruckheimer, également producteur des Experts.

Jerry qui?

Jerry Bruckheimer, le bulldozer du cinéma américain.
Chaque fois que vous voyez un film d'action bourré d'explosions spectaculaires, 9 fois sur 10, c'est lui. Comme Michael Bay, dont il a produit quasiment tous les films, le gars n'est pas reconnu pour sa finesse. Mais Jerry Bruckheimer c'est aussi le pif le plus impressionnant du box office : il a un don pour repérer les gros poissons, ceux sur qui le public va se ruer en masse.

A son tableau de chasse, il peut se vanter d'avoir des blockbusters en puissance tels que « Bad Boys », « Rock », « Pearl Harbor », « Benjamin Gates », « Le Roi Arthur », « Top Gun », « Le flic de Beverly Hills » et même « »Pirates des Caraibes » c'est lui. Respect!

Parmi ses petits protégés, on peut compter Michael Bay et Tony Scott , tous deux venants de la pub et du clip.

Tony Scott c'est l'homme que les épileptiques voient dans leurs cauchemars. Ses films ont toujours une esthétique très marquée par un défilement de plans assez voire très rapides et une caméra constamment en mouvement. Si au début de sa carrière, il ne faisait pas autant de vagues, depuis « Domino » et « Man on Fire » il s'essaie aux techniques visuelles les plus flashy et extravagantes possibles...souvent au détriment du scénario.

Imaginez un film tourné avec une caméra montée sur un marteau-piqueur en marche et vous aurez une bonne idée de à quoi ressemble « Dejà Vu »...

Bruckheimer et Scott, c'est déjà une histoire qui dure depuis « Top Gun ».
Ces deux là se connaissent bien et ensemble ils sont capables de bonnes choses : si vous cherchez un film d'action pas spécialement intelligent mais bien mené côté action, vous pouvez faire confiance au duo.

Donc voilà, « Dejà Vu » peut se résumer à un polar d'action très conventionnel, filmé sur un lit à ressorts.
Sauf que il y a l'histoire du voyage dans le temps. Et là les choses se gâtent...


En gros, les flics ont trouvé un moyen de voir les évènements qui se sont déjà déroulés mais ils ne peuvent rien changer.
Mouais, mon oeil! On parie combien que le héros (Denzel Washington) va trouver un moyen de remonter le temps, tuer le méchant et sauver la fille (dont il est évidemment tombé amoureux)?
En plus c'est son frigo qui lui dit de le faire (si, si)...

Les ficelles du film sont aussi énormes que les indices découverts par le personnage de Denzel sont minuscules : genre je regarde sous un pont et je trouve un truc gluant entre deux boulons...
C'est long un pont, quand même.
Et puis, quand il se prend une balle, il ne semble jamais ressentir le coup (il nettoie sa blessure, l'air de rien, comme une tâche sur sa chemise) et parvient à sortir d'une maison en flammes pile au moment où tout explose sans une égratignure. Vous avez dit « réalisme »?

Honnêtement les surprises du scénario n'en sont même pas vu que le film ne sort jamais des sentiers battus.
Non seulement le scénario, abracadabrantesque, est fumeux au possible et s'emmêle les pinceaux mais en plus, il accumule les idées les plus éculées.

Ma connaissance du sujet n'est pas exhaustive mais pour expliquer le principe du voyage dans le temps et ses conséquences, les « scénaristes » n'ont rien trouvé de plus original qu'une feuille pliée (principe que l'on retrouve dans plusieurs films, comme « The One ») et un schéma (exactement le même que dans les « Retour vers le futur », qui ont déjà plus de 20 ans)...
Et cerise sur le gateau, le film nous fait le coup du méchant patriote qui veut tout faire sauter pour qu'on lui reconnaisse ses droits.
Idée reprise directement de « Rock » de Michael Bay, produit par...Jerry Bruckheimer!

Comme quoi, malgré son budget de plusieurs millions de dollars, « Deja Vu » doit se rabattre sur des idées maintes fois exploitées pour rester un poil cohérent. Un comble.

Par contre avant que Denzel ne décide de faire un saut dans le temps, il s'est déroulé 1h30 de film!
1h30 où on voit des types qui regardent des écrans. Mais attention ils ne regardent pas n'importe quoi, hein! Ils font bien attention de choisir les plans où on voit la fille en sous vêtements, ou carrément sous la douche. Des scènes indispensables à l'enquête, faut avouer...

« Dejà Vu » c'est avant tout un film sur des types qui regardent un film, ça dure 2 heures et c'est ch...ennuyeux au possible!

Mais Bruckheimer oblige, le film possède aussi quelques scènes d'action plus ou moins bien foutues . Si Tony Scott filme joliment un tonneau de voiture depuis un bateau, l'explosion principale (le ferry) est vraiment moche : le montage est tellement réussi qu'on à l'impression de voir 3 fois le même type sauter dans l'eau...
Et j'en profite pour faire remarquer que lors de la scène du pont, le personnage de Denzel renverse plusieurs conducteurs innocents dans sa quête contre le mal.
Pour un type qui cherche à sauver des vies, c'est plutôt de mauvais goût!

Le plus drôle c'est que les scènes d'action n'ont rien d'exceptionnel mais la mise en scène de Tony Scott les amplifie considérablement. Par exemple, la scène du pont est filmée de façon tellement rapide qu'on croit revivre « French Connection ».
Pourtant dans les faits c'est juste un type qui roule sur un pont...

Et le film multiplie ces séquences fièvreuses où en réalité, il ne se passe rien.


S'ils ne dégage jamais un vrai charisme, Denzel Washington reste fidèle à lui même : très bon acteur. Jim Caviezel est parfois assez impressionnant mais le reste du casting est insignifiant.
Même le génial Val Kilmer surnage dans cette mer de mauvais acteurs. Il a grossi, joue le mec sérieux bien caché derrière ses lunettes et se contente de faire de la figuration. Dommage.

Même si l'idée de base était intéressante, « Deàa Vu » n' est qu'un nanar qui bénéficie d'un gros budget mal utilisé.
Il échappe de peu au zéro pointé grace à la présence de Denzel Washington, la réalisation frénétique de Tony Scott et la musique particulièrement rythmée de Harry Gregson Williams qui, bien loin d'être exceptionnelle, donne un vrai cachet aux scènes d'action.

Note : *

L'amour six pieds sous terre




Deux entrepreneurs de pompes funèbres se livrent une compétition acharnée.
L'un organise des enterrements très innovants tandis que l'autre prépare la fausse mort de la femme qu'il aime, pour la débarasser d'un mari volage.


Le principal atout du film, c'est son casting.

Alfred Molina (« Spiderman 2 ») interprête Plots, un croque mort qui rêve de devenir danseur. Depuis sa plus tendre enfance, il en pince pour Betty (étonnante Brenda Blethyn) mais à cause d'une timidité maladive il n'a jamais osé lui avoué son amour.

Betty s'est donc retrouvée mariée à un gros macho infidèle (Robert Pugh, génialement détestable), qui s'envoie en l'air avec sa secrétaire (Naomi Watts, plus sexy que jamais dans des tenues particulièrement affriolantes).

Enfin on croise de temps en temps un duo de croque morts joué par le toujours excellent Christopher Walken et Lee Evans.
L'un est un excentrique bourré d'idées farfelues, l'autre serait plus proche du singe descendu de l'arbre...qui aurait raté quelques branches.

Les deux acteurs avaient déjà travaillé ensemble sur « La Souris » de Gore Verbinski et ils prennent un plaisir communicatif à imaginer les idées les plus invraisemblables pour révolutionner les enterrements.
Si Evans en fait malheureusement un peu trop dans le comique forcé, leur duo extravagant reste la source de nombreuses scènes hilarantes, dont le point d'orgue reste la cérémonie où la défunte est grimée selon les traits de Spock dans Star Trek ( à pleurer de rire!).


La mort est un métier comme un autre.
On pourrait s'attendre à une satire très noire à l'humour corrosif mais c'est une comédie romantique doucement folle qui s'offre à nous.

Si les entrepreneurs essaient de se piquer les clients à la manière des personnages de Cauvin et Hardy dans la bande dessinée « Pierre Tombal », l'histoire d'amour est au coeur du film.

On s'intéresse donc aux (mé)saventures de Plots et Betty qui vont devoir redoubler de patience et d'inventivité pour pouvoir enfin finir ensemble et couler des jours heureux.
Parce que faire passer quelqu'un pour mort n'est pas de tout repos surtout quand la « défunte » attire la curiosité des habitants mal intentionnés.

Si humour noir il y a, il est surtout porté par le personnage de la secrétaire qui veut éliminer Betty par ses propres moyens.
Le reste oscille plus entre quiproquos et loufoqueries à l'humour « so british ».

Le réalisateur Nick Hurran soigne tout particulièrement l'image.
La très belle photographie rend hommage aux décors verdoyants du Pays de Galles, où est tourné le film. Les plans sont plutôt travaillés avec de jolies séquences musicales où les acteurs se lancent dans des numéros de danse endiablée.

Hurran n'oublie pas non plus de se distinguer de temps en temps.

Par exemple, et sans avoir une quelconque incidence sur le reste du film, dès qu'une personne âgée se trouve en arrière plan dans la rue, il faut toujours qu'il lui arrive une tuile. C'est gratuit mais c'est drôle.
Il se veut aussi attendrissant : quand il met en scène un garçon un peu naïf mais tellement gentil.

Et surtout, difficile d'oublier le final Burtonien qui parodie élégamment l'ambiance typique des films d'horreur.

On peut reprocher au film d'être très classique dans son déroulement et de manquer de vrais rebondissements mais à l'opposé d'un « Joyeuses Funérailles », beaucoup plus noir et trash, Nick Hurran ne souhaite pas faire une satire amère peuplée de sadiques ou de déjantés en tout genre.

Comme on nous l'indique clairement, « L'amour... » est une fable, une belle histoire romantique qui s'apparente à un conte de fée moderne.

Innovant et innatendu, le scénario fait la part belle aux scènes saugrenues et aux personnages un peu dingo. Une agréable comédie britannique portée par un casting de qualité.

Note : ***

Gran Torino


Walt Kowalski, vétéran de la guerre de Corée, est un homme inflexible, amer et pétri de préjugés. Il vit seul dans un quartier peuplé d'immigrés. Un jour, sous la pression d'un gang, un ado hmong tente de lui voler sa précieuse Ford Gran torino... Walt fait face à la bande, et devient malgré lui le héros du quartier. Sue, la soeur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des "travaux d'intérêt général" au profit du voisinage. c'est le début d'une amitié inattendue, qui changera le cours de leur vie.

Aux côtés de Sean Penn et Tommy Lee Jones, Clint Eastwood reste l'un des plus grands acteurs à ne pas avoir souffert de son changement de place vis à vis de la caméra.
Assis à la place du metteur en scène depuis un certain temps déjà, il nous a pondu chef d'oeuvre sur chef d'oeuvre et a déjà raflé une belle brouette d'oscars.
Depuis longtemps, l'homme n'a plus rien à prouver à personne en temps qu'acteur comme en tant que réalisateur.

En gagnant en maturité avec l'âge, il parvient pourtant à nous surprendre à chaque nouveau film et c'est, au même titre que pour Tim Burton ou Spielberg, que l'on attend chaque fois son prochain succès.
Et « Gran Torino » et le dernier en date.

Si la carrière d'acteur de Clint Eastwood est avant tout basée sur les grosses brutes, les policiers impitoyables et les cow boys avares en paroles mais pas en plomb, c'est toujours un étonnement de le voir choisir, en tant que réalisateur, des scénarios aux antipodes de celle-ci.

Eastwood se consacre désormais plus aux liens familiaux et aux destins brisés qu'à la castagne.
S'il fait un film c'est avant tout pour raconter une histoire qui le passionne et lui tient à coeur.

Coeur. Si l'on devait retenir quelque chose de ses films, c'est qu'ils sont faits avec le coeur.

Si « Gran Torino » traite du sujet resassé du vieux grincheux qui reprend goût à la vie en prenant en charge l'éducation d'un jeune garçon, on est loin d'un simple mélodrame famillal.
On y parle de racisme, de guerre des gangs, de l'impossibilité de s'adapter au milieu social...
Le sujet est triste, grave, voire sérieux et pourtant...

Et pourtant Eastwood ne sombre jamais dans les larmoiements faciles et ne cherche pas à ce qu'on s'appitoie sur le sort des personnages.
En aucun cas le film ne dégouline de bons sentiments.
Avec talent et habileté, il évite les clichés, comme les stéréotypes.
Pour pinailler, on peut dire qu'Eastwood force un peu trop sur les violons (lacrymaux) aux moments critiques mais c'est vraiment une broutille comparé aux nombreuses qualités du film.

Souvent on sent pointer les grosses ficelles du scénario mais il n'en est rien, le film nous émerveille constamment et parvient sans peine à nous prendre au dépourvu.

A la lourdeur et au pessimisme, Eastwood préfère afficher sans honte une légereté bienvenue.
La mise en scène se fait subtile sans pour autant perdre de son efficacité.
Sans emphase, Eastwood se contente de filmer des scènes de la vie quotidienne de manière réaliste en laissant la caméra se concentrer sur le jeu des acteurs.
Et quels acteurs!

Le casting est sans fausse note et les performances des jeunes comédiens sont exemplaires (surtout la jeune asiatique) mais « Gran Torino » c'est avant tout l'occasion pour Clint Eastwood de repasser devant la caméra.

Si depuis quelques temps Eastwood nous sort un nouveau film chaque année, ça faisait un bon moment qu'on ne l'avait plus vu à l'écran.
Dans « Gran Torino », il ramène donc enfin sa gueule cassée et sa voix rocailleuse et, une chose est sûre, l'âge ne lui a rien fait perdre de son charme!


Il y joue Walt Kowalski, un polonais veuf, vétéran de la guerre de Corée.
A première vue le personnage est aimable comme une porte de prison.
Il déteste tout le monde : les noirs, les jaunes, les jeunes, les vieux et même sa propre famille.
Sa compagnie il la trouve chez un coiffeur italien qu'il s'amuse à insulter dans les règles de l'art, ses vieux potes de bar à qui il raconte des blagues racistes, son chien fidèle et sa voiture, la Gran Torino du titre, qui si elle n'a que peu de place à l'écran, deviendra rapidement le lien central de l'histoire.

Dans la peau de Kowalski, Eastwood pioche dans son registre « sale gueule antipathique » et donne tout ce qu'il a sans sourciller.
Non seulement l'acteur bouffe littéralement l'écran de ses yeux, à la fois tendres et perçants, mais il crache chaque mot à la face des gens en serrant constamment des dents comme s'il mâchait des cailloux...

Déjà en peinture, il n'est pas beau à voir mais avec le son c'est pire : sans gêne aucune, il manie les sarcasmes comme une seconde nature et jure comme un charretier à qui veut l'entendre, ponctuant alègrement ses phrases de politesses telles que « niak », « bougnoul » « fâce de citron » ou encore « sale rital de merde ». Charmant.

Définitivement le genre de type avec qui on rêverait de bavarder...

Et pourtant.
Et pourtant, derrière ce visage buriné au marteau piqueur et cette bouche baveuse qui grogne se cache avant tout un homme. Un homme meurtri qui a vécu les horreurs de la guerre, qui souffre de la perte de sa femme et de sa solitude et qui se rend compte qu'il n'a jamais su prendre soin de sa famille.

Et c'est donc en se liant d'amitié avec ceux qu'il croyait être ses pires ennemis, qu'il va redonner un sens à sa vie.
Son front se déride, son sourire s'agrandit peu à peu et on découvre que sous ses airs de vieille armoire à glace normande rouillée, le Walt il a un bon fond.

Et là je me permets de faire un rapprochement avec le récent « Yes Man » car dans les deux cas, le héros reprend gôut à la vie en osant dire « oui ».
Dans « Yes Man », c'est assez explicite alors que dans "Gran Torino" ,on voit que petit à petit Walt réapprend à s'ouvrir aux autres en osant aller vers eux.

Mais là où le premier transformait un sujet en or en...plomb c'est un peu exagéré vu que le film a quand même quelques bons moments mais...en cuivre, tiens : un métal d'apparence assez joli, mais creux et qui rouille rapidement (comme l'humour du film, vieillot et réchauffé...), « Gran Torino », lui, pour le coup change le plomb (le sujet de départ) en or massif.

Et ce, grâce à un humour à la fois sarcastique et décapant.
Dans « Yes Man » les situations sont parfois drôles en elles mêmes mais les dialogues sont souvent affligeants de médiocrité entraînant une ambiance douce-amère alors qu'on devrait rire à pleines dents.

Ici Eastwood nous met à l'aise dès les premières minutes.
A cet enterrement qui se veut solemnel, une jeune fille joue à la console, les hommes parlent héritage et le reste de la foule fait semblant d'écouter le sermon du prêtre, attendant le buffet mortuaire pour se remplir la panse aux frais de la princesse...
Rapidement, on apprécie le regard franc, concret et surtout lucide qu' Eastwood porte sur notre société et il ne s'en prive pas pour le montrer.

Et pourtant.
Et pourtant, il ne cède jamais à la facilité, ne sort jamais l'artillerie lourde comme le film avec Jim Carrey. Cette fois, les dialogues sont finement écrits (les injures font d'ailleurs partie intégrale du plaisir communicatif du film) ), les personnages sont loin d'êtres de simples caricatures et surtout les situations portent en elles un comique indéniable.


Difficile de résiter aux frasques du Schtroumph grognon en prise avec toutes ces femmes qui viennent déposer de la nourriture sur son porche avant qu'il ne décide de les accepter ; parce que la nourriture asiatique ça plait aussi aux vieux ronchons.


Là où « Yes Man » parvenait à nous arracher un sourire de temps en temps, toute la première partie de « Gran Torino »nous donne l'occasion de nous esclaffer sans retenue.
La mise en scène légère du film et le langage ordurier, mais jamais gratuit, font souffler un vent de fraicheur irrésistible sur le cinéma américain souvent trop aseptisé (« Yes Man », toujours en ligne de mire).
Malgré toutes les apparences, « Gran Torino » est extrêmement drôle!

Alors, « Gran Torino » : « meilleure comédie de ce début d'année »?

Non, car comme la plupart des films d'Eastwood, « Gran Torino » subit lui aussi le double effet kiss cool : deux pour le prix d'un, comédie ET drame.
Alors qu'on est totalement épris des personnages et de leurs relations peu conventionnelles, on a oublié la trame principale qui nous ramène brutalement à la « réalité » comme l'a fait « Million Dollar Baby » en son temps...

Si la violence est rarement présente, elle est pourtant là, cachée en filigrane, n'attendant que le moment propice pour se dévoiler.

Et c'est là qu'on attend qu'Eastwood et son physique de bulldozer arme sa pétoire avant d'enfourcher la Gran Torino pour faire régner la justice dans l'Ouest de sa petite bourgade.
Et pourtant. Et pourtant...

Jusqu'au bout, on se laisse emporter par le film, qui ne se révèlera jamais comme on l'attendait.

Et alors que défile le générique de fin, on admire l'intelligence du réalisateur pour avoir remplacé l'écran noir conventionnel par ce plan fixe d'un bord de mer sans vague et d'un ciel, sans nuage, rempli d'espoir.
On laisse alors ce frisson, du à la chanson titre, nous envahir et on se laisse submerger par ce sentiment irrépressible de mélancolie en se remémorant les plus beaux passages du film...

« Gran Torino » est un film magnifique à tout point de vue.
Eastwood est aussi à l'aise derrière que devant la caméra dont il électrise le champ de sa présence.
Un langage cru et des émotions vraies. L'oeuvre d'un humaniste confirmé.
Du grand cinéma.

Note : ****