mercredi 25 décembre 2013

Gravity

Quand une pluie de débris détruit leur navette spatiale, deux astronautes, Ryan Stone et Matt Kowalski se retrouvent à la dérive dans l'espace... ‘Dans l’espace personne ne vous entendra crier. C’est pourtant pas faute d’avoir essayé.’ C’est ce qu’a du se dire Ryan (Sandra Bullock), une astronaute taciturne, indépendante et solitaire - mais non dépourvue de bravoure - et l’héroïne du nouveau film d’Alfonso Cuaron. Au même titre que ses confrères Guillermo del Toro et Robert Rodriguez, Cuaron est un des rares réalisateurs mexicains contemporains qui a réussi à Hollywood, mais en imposant son propre style. Rodriguez se complaît désormais dans la violence outrancière et le mauvais goût assumé avec des films bas de plafond, vite vus, vite oubliés. A l'opposé, Cuaron et Del Toro privilégient une écriture soignée et le travail de mise en scène pour créer des chefs d’oeuvre qui marquent le 7ème art (Le Labyrinthe de Pan pour l'un et Les Fils de l’Homme pour l'autre, pour ne citer qu’eux). Et Gravity est clairement le genre de film sorti de nulle part, mais dont vous allez entendre parler longtemps. L’aspect visuel est assurément un des points fort du film. Gravity n’est certes pas le premier film à suspense à mettre en scène des cosmonautes à la dérive, mais rares sont ceux avant lui à atteindre une telle perfection. La maîtrise du cadre et la photographie exceptionnelle mettent en valeur la perte de repère spatial d’une part – quand la planète entière n’est plus qu’un vertigineux tableau abstrait autour duquel on tourbillonne sans fin, en cherchant vainement une quelconque direction. Et d’autre part, elles accentuent la froideur oppressante de l'univers et la claustrophobie des différents habitacles visités. Sans oublier que Cuaron est un passionné d’astronomie. Tout jeune, il rêvait de devenir astronaute. Sa passion d’enfance transparaît à l’écran grâce à une connaissance fidèle de la technologie et des équipements utilisés dans le film. Bien que ces derniers restent inaccessibles au commun des mortels, la crédibilité demeure le maître mot. Gravity aurait pu être tourné dans un simple studio ou réellement dans l'espace, on ne saurait voir la différence. L’absence de gravité à elle seule est un effet visuel bluffant. Les personnages tournent constamment sur eux même, comme prisonniers d'une bulle invisible. Cuaron multiplie alors des plans séquence interminables et laisse sa camera flotter librement à leurs côtés, sans discontinuer, dans un style quasi documentaire. Selon le besoin, il colle littéralement au visage des comédiens, capturant ainsi leurs moindres émotions. Ou au contraire, il s’éloigne jusqu’à ce que les cosmonautes ne soient plus qu’une faible lueur, lentement avalée par les ténèbres. Cuaron parvient même à nous placer directement dans le scaphandre de l’héroïne, en vision subjective. Dans la peau de Ryan, on retient alors notre respiration, quand la sienne résonne dans son casque. Même lorsque l’action prend le dessus, Cuaron se fait l’anti Michael Bay par excellence. Alors qu'une station orbitale est réduite en charpie et qu'une multitude de débris métalliques traversent les cieux, la pyrotechnie brille par son absence, et le chaos à l’écran reste d’une clarté magistrale. Un silence de mort envahi l'écran - comme le son ne se propage pas dans le vide - tandis que des percussions fatalistes tentent de nous accabler émotionnellement. Rien que pour sa beauté plastique et son hyper-réalisme, Gravity mérite des louanges. Mais tous les effets spéciaux du monde ne sauraient remplacer un script solide et des acteurs dignes de ce nom. Dans un sens, Gravity s’apparente à un 127 heures dans les étoiles. En effet, les deux films se concentrent sur une personne aspirant à la solitude, qui se retrouve perdue au milieu de nulle part, dans des conditions extrêmes, sans moyen de communication et des ressources limitées. Par chance, Alfonso Cuaron et Danny Boyle partagent un indéniable talent de conteur et de directeur d’acteurs. Si James Franco a remporté une nomination comme Meilleur Acteur pour 127 heures, il est fort à parier que Sandra Bullock va suivre le même chemin. Déjà détentrice d’un Oscar (pour The Blind Side), ‘Miss Detective’ trouve ici le meilleur rôle de toute sa carrière et pourrait bien décrocher une seconde statuette. Suite à un passé traumatisant, Ryan n’est plus que l’ombre d’elle même. Une coquille vide dans laquelle elle se réfugie et refoule ses émotions. L'actrice nous offre une performance à fleur de peau, sincère et touchante, qui ne peut laisser indifférent. A ses côtés, George Clooney, qui joue les compagnons de fortune, parvient difficilement à nous faire oublier son statut de méga star. Là où Sandra Bullock s'efface littéralement derrière son personnage, on ne voit que Clooney en costume de cosmonaute. Néanmoins, il se glisse sans peine dans la peau de ce père protecteur au sourire ultra-bright. Sans trop en dévoiler, le scénario est particulièrement riche en rebondissements et fait la part belle aux poussées d'adrénaline pour nous tenir en haleine jusqu'au dénouement. Le sort s'acharne littéralement sur la pauvre Ryan qui se sort in-extremis d'un danger mortel pour tomber dans un autre. Grace à l'extraordinaire travail d'immersion du réalisateur, certaines scènes sont d'une tension viscérale à vous couper le souffle. Mais la brillance du script repose sur le fait que Ryan est un personnage féminin. En mettant l'accent sur sa vulnérabilité, le film nous permet d'éprouver pour elle un vrai sentiment d'empathie. Mais chaque épreuve surmontée est une victoire en elle même, où l'on se rend compte que c'est quand on est poussé dans nos derniers retranchements que l'on révèle tout notre potentiel. En ce sens, Gravity est une magnifique leçon d'optimisme et de courage face à l'adversité. On apprécie alors la double lecture symbolique du film quand il se mue subtilement en une ode poétique sur l'évolution - où la survie est aussi une renaissance. A ce sujet, certains plans hypnotiques, dignes du 2001 de Kubrick, resteront gravés dans votre mémoire bien après le générique de fin. Gravity est sans hésiter l'un des meilleurs films de 2013. On peut déjà prévoir une nomination dans les catégories Meilleur Réalisateur, Meilleure Actrice, Meilleur Son, Meilleurs Effets Visuels, Meilleure Musique et Meilleure Photographie. Gravity est une expérience sensorielle inédite, tour à tour épique et intime, intense et réfléchie, spectaculaire et épurée. Un film catastrophe haletant, doublé d'une extraordinaire aventure humaine. Sandra Bullock porte à elle seule le film sur ses épaules et incarne une femme à la fois forte et fragile, qui risque bien de devenir une icône du genre, aux côtés de Ripley de la saga Alien. On ressort du film comme il se doit - en apesanteur. Note : ****

lundi 23 décembre 2013

Santa's Slay

Un petit village de campagne est en proie à un père Noël sanguinaire qui sème la mort sur son passage Ah, Noël. Voici venu le temps de se retrouver en famille pour partager ce merveilleux jour de fête. Paix sur Terre et joie aux hommes de bonne volonté ! Et voici justement le Père Noël qui apporte ses présents aux enfants sages. Regardez le qui traverse le ciel sur son traîneau volant, tiré par son fidèle…euh… bison des montagnes. Selon une légende nordique, Santa Claus serait en réalité le fils de Satan, (« Santa », « Satan », on se demande où ils vont chercher tout ca…) un colosse viking, bâti comme un ours, qui prend un malin plaisir à torturer son prochain, et dont le passe temps favori est de pêcher sur la banquise avec les elfes – les pauvres elfes jouant bien sûr les hameçons réticents. Afin de stopper son règne de terreur, un ange envoyé par Dieu lui propose un pari. S’il perd, il sera forcé de distribuer des cadeaux chaque année à Noël pendant mille ans. Santa accepte, échoue et se voit contraint de jouer ce gros barbu débonnaire que nous connaissons bien, et dont le « ho ho ho » caverneux dessine un sourire sur le visage de tous les enfants. Mais les mille années touchent à leur fin et toutes ces années de travaux forcés ont rendu Santa un poil irritable. Cette fois, les douze coups de minuit sonneront l’heure de la vengeance. L’année dernière, Santa offrait les présents. Cette année, il distribue les marrons. Et quoi de plus approprié pour le fils du diable que de commencer sa tournée par cette petite bourgade si justement nommée « Hell Town » ? Un scénario grotesque, un réalisateur inexpérimenté et armé d’un budget dérisoire, et des comédiens habitués aux seconds rôles ou cantonnés au petit écran. Tout prédestinait Santa’s Slay à être rangé aux côtés de ces séries Z, aux acteurs au rabais, où les effets gore priment sur les qualités narratives et esthétiques. Il faut pourtant avouer que pour un premier long métrage, le cinéaste David Steiman s’en sort avec les honneurs. Les scènes d’action sont d’une qualité peu commune pour un petit budget. Le montage soigné et la maîtrise du cadre soulignent aussi bien le suspense que la comédie. Les effets visuels sont aussi discrets qu’efficaces. Et enfin, la bande son, ironiquement composée de chants de Noël festifs, contraste délicieusement avec la violence des situations. Fait rare également pour ce genre de production, les acteurs sont convaincants et incarnent des personnages à la fois crédibles et sympathiques auxquels on s’attache immédiatement. Mention spéciale au grand-père malicieux et excentrique, habile croisement entre Obi Wan Kenobi et Doc Brown de Retour vers le Futur. Quand au rôle de Santa, il va comme au gant au catcheur Bill Goldberg. En plus de rouler des mécaniques et d’exhiber des avant-bras comme des troncs d’arbre, Goldberg communique un plaisir de jouer évident à chaque instant. Notamment dans la scène du bar à strip tease, référence à la fois au Terminator et aux films de Jackie Chan, où il démonte les videurs et le mobilier, au milieu de danseuses à moitié nues. Santa’s Slay étonne constamment par ses répliques loufoques et son ton irrévérencieux. Malgré la stupidité du script, Steiman nous charme dès les premiers instants avec un ton décalé, mis en valeur par le soin apporté à la mise en scène. Mais Santa vole clairement la couverture à chacune de ses apparitions. L’introduction à elle seule vaut son pesant de cacahuètes: faisant irruption chez une famille de riches parvenus en plein repas de Noël - en défonçant littéralement leur cheminée - il envoie d'abord leur chien dans les pales d’un ventilateur avant de se jeter sur les convives pour les massacrer de la manière la plus jouissive possible. La scène met clairement en avant un humour noir et une créativité dans le meurtre qui rappelle les meilleurs moments de Freddy et de Jason. Et le reste du film ne fait que consolider cette impression pour le plus grand bonheur d’un public friand de violence cartoon. Quand il ne vous plante pas un sucre d’orge entre les deux yeux, vous poignarde avec une étoile de Noël, ou vous noie dans de la crème anglaise, Santa Claus peut tout simplement vous éparpiller façon puzzle avec les paquets explosifs du Schtroumph farceur. Les morts sont imaginatives et brutales, les personnages principaux sont charmants, le réalisateur contourne les limites du budget par une mise en scène travaillée et cherche avant tout à nous faire passer un bon moment. Cette course poursuite effrénée, bizarre mais hilarante, nous laisse avec un sourire idiot jusqu’à la fin. Une fin qui ne remplit hélas pas ses promesses et déçoit par son manque de bravoure. Une faute certainement due au manque de moyens. Mais on reste néanmoins avec un arrière goût d’en vouloir davantage. Quand on s’amuse, le temps passe toujours trop vite. Si pour Noël pour souhaitez échapper aux sempiternelles bluettes romantiques de fin d’année ou à l’inévitable production Disney pour toute la famille, et si vous êtes dans le bon état d’esprit pour un petit film d’horreur décomplexé, alors sortez la bûche et le popcorn. Amateurs de mauvais goût, de violence burlesque et de nudité gratuite, on ne pourrait vous faire de plus beau cadeau. Note : **

mercredi 18 décembre 2013

Pacific Rim

Surgies des flots, des hordes de créatures monstrueuses venues d’une autre dimension ont déclenché une guerre qui a fait des millions de victimes. Pour les combattre, l'armée a mis au point de gigantesques robots, contrôlés par des pilotes. Je vous vois déjà venir avec vos gros sabots. Vous allez me dire qu'un film sur des robots hauts comme des immeubles qui se tapent dessus à grand renfort d’explosions, c'est juste un produit bassement commercial qui cherche à surfer sur la vague des Transformers. Et en un sens, vous n’auriez pas tort. Mais moi de vous répondre que si. Pacific Rim est le nouveau film du cinéaste mexicain Guillermo del Toro, un amoureux éperdu des univers fantastiques. Bercé aux comic books américains et à l’animation japonaise, Del Toro a su s’approprier les codes narratifs et esthétiques des deux genres. Rien d’étonnant alors à ce que les deux héros soient un américain casse-cou et une jolie japonaise aux yeux de biche - et aux cheveux colorés, notez bien. Et c’est également sans surprise que les pilotes des robots aient un passé tragique (les pilotes de méchas dans les mangas souffrent toujours d’un traumatisme). Ou encore que la douce japonaise soit aussi une machine de guerre meurtrière. Aussi bien au niveau du récit que du design de certains monstres, Del Toro démontre un intérêt certain pour la saga Neon Genesis Evangelion, le manga culte de Yoshiyuki Sadamoto. En matière d’action, Del Toro laisse s’exprimer son petit coeur de fanboy. Il puise dans le catalogue de séries et romans de sa jeunesse (en vrac, des références évidentes aux nombreux Godzilla, à King Kong, aux animés de méchas comme Patlabor/Gundam, ou encore aux monstres tentaculaires qui peuplent les romans de Lovecraft) pour nous offrir des affrontements dantesques, qui nous laissent avec un sourire béat d'admiration par leur démesure et leur inventivité. Le soin apporté aux cadrages et à la lumière est admirable. Chaque plan semble sorti tout droit d’une bande dessinée de notre enfance. Grace à une ambiance sonore de qualité et une mise en scène qui nous plonge au cœur de la baston, on reste sans voix face au potentiel destructeur des combattants. Quand il ne passent pas à travers des gratte-ciels comme on marche par inadvertance sur un château de sable, chaque coup de poing ou de griffe les envoie valser dans un fracas de rouages et de viscères. Lorsque le thème héroïque du film résonne soudain à nos oreilles alors qu'un robot haut de plusieurs dizaines d'étages traîne derrière lui un pétrolier qu’il s’apprête à fracasser sur le crâne d’une créature large comme un pâté de maisons, le terme "bad-ass" vient d’adopter une nouvelle définition. Mais Del Toro est aussi un prodige du maquillage et des effets spéciaux réalistes. Visuellement, Pacific Rim peut se vanter d’enterrer un bon nombre de productions récentes. Grace à un rendu des textures ultra-réaliste et une fluidité de tout instant, le film est d'une beauté à se damner. Depuis Avatar (2009 déjà), on n’aura pu contempler une peau reptilienne aussi palpable. Pacific Rim est garanti de repartir avec au moins une nomination aux Oscars pour ses effets visuels. Mais si le film regorge d’images de synthèse, ce n’est jamais au détriment de leur crédibilité. Lors des scènes d'action, la plupart des réalisateurs contemporains se repose essentiellement sur le "tout numérique" pour au final nous offrir ce qui ressemble plus à une cinématique de jeu vidéo qu’à une séquence digne d’un long métrage (le mollasson Man of Steel de Zack Snyder brandit fièrement un gros panneau ‘tout CGI’). Au contraire, le design de Pacific Rim est minutieusement travaillé. Que ce soit les mécanismes sophistiqués et l’armure rutilante des robots, ou l’aspect organique des créatures visqueuses, Del Toro s’impose une cohérence artistique au lieu de simplement jeter des idées sur le papier 'parce que ça ferait joli à l'écran' (Man of Steel, encore lui). En combinant habilement imagerie numérique et effets plus traditionnels, Del Toro rejoint les grands créateurs de mondes au même titre que James Cameron et George Lucas, en nous donnant la chance d’admirer un grand nombre de créatures, à la hauteur vertigineuse, parmi les plus crédibles jamais vues au cinéma. On pourra regretter cependant que le film n’exploite jamais l’univers fantasmagorique d’où proviennent tous ces monstres. Vu les possibilités infinies offertes par le scénario, on aurait bien aimé passer un peu plus de temps de l’autre côté du miroir… En plus d’être le réalisateur de films d’action nerveux et stylés comme Blade 2 ou Hellboy, Del Toro est aussi l’auteur maintes fois récompensé de l’Echine du Diable, Cronos ou du Labyrinthe de Pan. Des tragédies lyriques où la poésie de l’imaginaire s’associe à l’horreur de la réalité. Avec Pacific Rim, il fait rimer action avec émotion, et apocalyptique avec comique. D’une part, le script est basique et sans surprise, avec des raccourcis et des ficelles de narration à faire passer les films de Joel Schumacher pour du Bergman (quand on a pour assistant le scénariste du remake du Choc des Titans, faut pas trop en demander non plus…). Mais d'autre part, les personnages sont suffisamment attachants (malgré la pauvreté de certains dialogues). Comme dans Iron Man, ce n’est pas l’armure qui fait le héros, c’est l’homme à l’intérieur. Del Toro choisit judicieusement de mettre en valeur la vulnérabilité des pilotes et parviendrait même à nous arracher une larme lors des scènes les plus émouvantes. De même, la tragédie à grande échelle que dépeint le film est mise en scène avec un sérieux inébranlable. Ce qui n’empêche pas deux hurluberlus hystériques de monopoliser parfois l’attention pour détendre inutilement l'atmosphère (ce qui rappelle une fois de plus le duo navrant du Choc des Titans…). Et Ron Perlman – acteur fétiche de Del Toro – de faire l’andouille comme à son habitude. Bref, Pacific Rim a tout du gros nanar aux situations convenues et aux protagonistes vus mille fois. Mais avec le genre de nuances qui fait la différence entre un vulgaire film de monstres vendu à la douzaine et une bonne série B, généreuse et décomplexée. Aux commandes de cette méga-production, un réalisateur lambda ne cherchant qu’à grossir son portefeuille aurait plongé le film dans les abysses de la médiocrité. Il fallait bien un passionné de Japanimation et de comics avec une âme d’enfant - mais un talent de conteur grec - pour mettre en scène ces robots de 20 étages qui tapent joyeusement sur de gros lézards. Sorti cet été presque en même temps que Man of Steel, Pacific Rim fait partie de ces grosses machines hollywoodiennes qui cachent un scénario rachitique sous un déluge d’effets spéciaux. A ce jeu, Znack Snyder s'imagine réaliser une épopée grandiose et épique et se plante misérablement avec une version de Superman, aseptisée, ronflante, interminable et qui s’embourbe dans une esthétique de jeu vidéo. Del Toro, lui, nous offre un film idiot mais bourré d'énergie, auquel il apporte son talent artistique et sa verve narrative. Un plaisir coupable mais immédiat qui ne cherche pas à être davantage. On n’en ressort pas grandi, mais qu’est ce que ça défoule! Note: ***

mardi 29 octobre 2013

Interstate 60

Neal, un jeune homme inquiet pour son avenir, entreprend un voyage sur une route qui n'existe sur aucune carte. Robert Frost est un poète américain né dans les années 1870. L’un de ses plus fameux poèmes (« The Road Not Taken » se termine ainsi: Two roads diverged in a wood, and I_ I took the one less traveled by, And that has made all the difference. (Pour les non anglophones, cela donne) Deux routes divergeaient dans un bois, et moi, J'ai pris celle par laquelle on voyage le moins souvent, Et c'est cela qui a tout changé. D’un point de vue empirique, Frost résume ainsi l’essence même de la vie. La vie n’est ni plus ni moins que la somme de toutes nos expériences vécues, positives ou négatives. Ce sont bien nos propres expériences qui font de chacun de nous des êtres uniques, et qui nous différencient de notre prochain - tant au niveau de nos actes, que de notre mode de pensée. Et comme Frost nous dit, c’est parfois quand on choisit le chemin le moins emprunté que la route est la plus belle. Ces vers sont souvent emblématiques de l’esprit aventureux et idéaliste qui caractérise l’Amérique des années 60. Tous les Easy Rider et autres grands road movies de l’époque basés sur la contre-culture reflètent une volonté d’émancipation du carcan capitaliste – où le système décide pour vous - et arborent avec fierté leur admiration des grands espaces. Et de la route. Cette route sans fin, à la destination incertaine, symbole de liberté et d’éternité, métaphore de la vie, où chaque rencontre peut être l’objet du destin. Si un jour vous souhaitez visiter les Etats Unis, ne cherchez pas l’Interstate 60 sur la carte, elle n’existe pas. C’est pourtant sur cette route que Neal débute son périple à la recherche de réponses à son existence, et accessoirement à la recherche de la fille de ses rêves. C'est vrai que quand on y pense, quoi de plus évident que de s’engager sur une voie imaginaire quand on entame une quête intérieure? Si le film se déroule comme un road movie, c’est bien d’un voyage de l’esprit dont il est question. Chaque protagoniste que Neal croise sur son chemin incarne une vertu ou une faiblesse morale que Neal devra apprendre à reconnaître pour son propre salut. L’intrigue du film repose sur le thème de l'inéluctabilité et de nos choix de parcours. Chaque nouvelle rencontre est l’occasion d’aborder de nouvelles questions existentielles sur le sens du destin. Chaque question apporte son flot de réponses, qui entraînent à leur tour une discussion sur leurs conséquences. Mais loin d’être le discours pompeux et ronflant que l'on pourrait craindre, Interstate 60 est un petit bijou de réflexion philosophique sur fond de comédie délicieuse. A la manière de Lewis Carrol avec Alice au Pays des Merveilles, le film nous plonge dans un univers volontairement décalé et surréaliste où chaque rencontre rivalise d’absurdité (mention spéciale à la ville peuplée d’avocats où tout le monde se poursuit en justice). Avant tout, le film pose des questions pertinentes auxquelles nous pouvons tous être confrontés un jour (dois je poursuivre mon rêve en dépit des conséquences?, dois je suivre la voie tracée par mes parents?, dois-je faire confiance à mon instinct ou à ma raison?...), mais les réponses qu'il nous donne - aussi fascinantes soient elles - sont tournées en dérision de manière complètement farfelue. Même si le principe masque souvent la réalité tragique et grinçante des situations, on se laisse séduire par le ton léger et optimiste du film, impatients de découvrir la prochaine leçon de conduite qui se cache au tournant. Au cours de son périple, Neal sera donc sujet à de nombreuses introspections, dont nous-mêmes, nous ressortons grandi. Dans les mains d’un conducteur du dimanche qui enchaîne les leçons de morale bienfaisante comme on passe les vitesses, le film aurait vite fini en queue de poisson. Fort heureusement, le réalisateur et scénariste Gob Gale est un pilote hors pair. Il démarre son film sur les chapeaux de roue, conduit pied au plancher, tout en évitant les nids de poule. Mais sait prendre le temps de s’arrêter pour profiter du paysage. Arrêtons là les jeux de mots automobiles douteux pour s’attarder sur les qualités de notre chauffeur. En voiture, Simone ! Bob Gale n'est rien de moins que le scénariste de Retour vers le Futur, l’un des films les plus adorés de l'histoire du cinéma. Retour vers le futur est un de ces rares films à effets spéciaux où l’imagerie visuelle ne met pas en défaut la qualité de l’écriture. Autant que la virtuosité technique, ce sont bien les personnages et les dialogues inoubliables qui font de ce film un chef d’œuvre intemporel. Si le succès commercial des aventures de Marty McFly n’est pas à démontrer, il est surprenant de voir que Interstate 60 est sorti directement en DVD, dans le plus pur anonymat. C'est peut être du au fait qu’il s’agit du premier long métrage réalisé par Gale lui-même, mais le film n’a rien à envier aux véritables sorties en salle. On voit que passer du temps aux cotés de Zemeckis (le réalisateur oscarisé de Retour vers le Futur, Forrest Gump ou Qui veut la peau de Roger Rabbit ?) a été bénéfique. Le film est sorti en 2002, mais Interstate 60 baigne dans une atmosphère à la fois ludique et insouciante propre aux années 80, et qui rappelle les débuts de Zemeckis. Le film brille également par son casting impeccable. Neal est incarné par un James Marsden (Cyclope dans X-Men) aussi crédible qu’attachant, à mi chemin entre Marty McFly et Ferris Bueller. Ses compagnons de route sont tous interprétés avec goût et justesse par une flopée de comédiens heureux d’être là – et de donner un coup de main à leur ami Gale. On retrouve avec plaisir les acteurs favoris du duo Gale/Zemeckis : Michael J. Fox et Christopher Lloyd, bien sûr, mais aussi un Kurt Russel à contre emploi, particulièrement inquiétant quand il vante les mérites de la dépendance des drogues dures sur le contrôle de la délinquance juvénile. On appréciera surtout les talents de caméléon de Gary Oldman, qui disparaît comme toujours derrière son personnage. Ici, un génie exauceur de souhaits, excentrique et malicieux – d’apparence inoffensif mais qui se délecte à manipuler ses victimes. Mais la palme revient à Chris Cooper, philosophe paranoïaque aussi imprévisible que dangereux, dont le passe temps favori se résume à relever les mensonges des médias – quand il ne menace pas de se faire sauter à la dynamite lorsqu’on refuse de lui obéir… Interstate 60 est une quête spirituelle déguisée en road movie, menée pied au plancher par un as du volant. Scénario soigné et inventif, personnages charmants, casting de rêve… il est triste de savoir qu’Interstate 60 n’a pu bénéficier d’une sortie en salles. Le film est une ode à la pensée créative et à l'individualisme et mérite amplement d'être découvert. Si des titres tels que « Stranger than Fiction », « Big Fish » et « Le Guerrier Pacifique » vous parlent, alors n'hésitez pas une seconde à choisir l'Interstate 60 pour votre prochaine destination. Note : ***

samedi 19 octobre 2013

Amours Chiennes (Amores Perros)

Mexico. Octavio est un adolescent qui décide de s’enfuir avec la femme de son frère, Daniel est un quadragénaire qui quitte sa femme et ses enfants pour aller vivre avec un top model. El Chivo est un ex-guérillero communiste devenu tueur à gages. Un tragique accident de voiture va brutalement les rassembler. Sorti en 2000, Amours Chiennes est le premier long métrage du réalisateur mexicain Alejandro Gonzales Inarritu. Il regroupe les histoires de plusieurs personnages de milieux et de classes radicalement différentes, dont les destinés se croisent suite à un événement majeur – ici, un brutal accident de voiture. Le film est donc partagé en trois parties distinctes. On est d’abord plongé dans l’univers cruel et dérangeant des criminels de bas quartiers, qui survivent à coup de braquages et de combats illégaux de chiens. On assiste ensuite à une farce grotesque, où la relation d’un couple de la haute société vole en éclat en même temps que le parquet de leur appartement. Enfin, on suit le quotidien sordide d’un vieil ivrogne mélancolique, engagé pour abattre le rival d’un homme d’affaire. A travers ces trois histoires, Inarritu dépeint des relations basées sur la tromperie, le mensonge et l’orgueil. Chaque personnage incarne ce qu’il y a de pire chez l’être humain. Chez le cinéaste, la morale bienfaisante ne triomphe jamais et les liens du sang ne protègent pas du meurtre. Il est même mention de « Abel et Cain » pour décrire une relation fratricide dans la dernière partie du film. Les protagonistes sont plus méprisables les uns que les autres et il est difficile de s’attacher à eux. En revanche, les acteurs offrent tous des performances mémorables. On retiendra notamment Gael Garcia Bernal, pour qui le film ouvrira les portes d’une carrière internationale. Amours Chiennes surprend avant tout par la qualité esthétique de sa réalisation. Le film tout entier baigne dans un univers froid et poisseux, aux couleurs délavées. Inarritu privilégie une approche réaliste, parfois documentaire, qui nous met face à une violence crue, et symbolise le caractère instable et perturbé de personnages sans espoir de rédemption. La combinaison de cadrages extrêmes, de plans rapprochés et d’un montage frénétique instaurent un climat claustrophobique, qui met volontairement mal à l’aise. Visuellement, le film est parfaitement abouti. Mais le plus surprenant, c’est la maitrise de la narration. Pour un premier long métrage, Inarritu fait preuve d’une grande habilité pour établir les relations entre ses différents protagonistes, tout en nous maintenant constamment en haleine. On pourra cependant noter que le succès du film repose sur les références à d’autres réalisateurs de renoms, dont Inarritu ne cache pas l’influence. Tarantino tout d’abord. La manière dont les personnages se croisent et s’influencent et les cartons en noir et blanc qui séparent les chapitres rappellent immédiatement Pulp Fiction. De plus, la scène d’introduction est directement tirée de Reservoir Dogs. Ensuite, les connaisseurs apprécieront l’utilisation d’une bande sonore funky et rock’ n’ roll qui fait écho aux débuts de Guy Ritchie – chez qui les petites frappes se retrouvent toujours dans des situations invraisemblables. Sans oublier un portrait du tueur solitaire amateur de lait similaire au Leon de Luc Besson. La différence c’est que Amours Chiennes est totalement exempt de second degré, si friand aux trois réalisateurs sus-cités. Le titre du film, Amores Perros, fait référence à l’affection que chaque personnage porte à son animal de compagnie. Mais il peut aussi se traduire par « Chienne de Vie ». En ce sens, sa froideur assumée ainsi que le pessimisme des situations rapprochent davantage le film du travail d’Aronofsky sur Requiem for a Dream - une référence en matière d’univers malsain et de personnages sans espoir de lendemain. Amours Chiennes est considéré comme le premier opus d’une trilogie sur la mort et la perte d’humanité, qui regroupe aussi 21 Grammes et Babel, tous mis en scènes par Inarritu. Pour un premier film, Amours Chiennes est l’œuvre d’un virtuose de la caméra qui méritera une nomination aux Oscars comme Meilleur Film Etranger. Mais c’est surtout une fable tragique et sordide, un drame réaliste au style fiévreux, peuplé de personnages meurtris. La vie est peut-être une chienne, mais l’homme reste un loup pour l’homme. Note : ***

lundi 7 octobre 2013

Le Grand Silence

En hiver 1898, dans les montagnes de l'Utah, des paysans sont devenus hors-la-loi pour survivre à la famine. Des chasseurs de primes, dirigés par le cruel Tigrero, sont payés pour les abattre. Pauline, dont le mari a été tué par Tigrero, engage à son tour un pistorlero muet pour la venger. Quand on parle de « western spaghetti », un nom apparaît sur toutes les lèvres: Sergio Leone. En effet, le nom du cinéaste est passé dans la culture populaire comme un synonyme du genre. On connait tous la trilogie des Dollars, films d'action sarcastiques et violents, dont les intenses duels millimétrés et les compositions héroïques d'Ennio Morricone sont à jamais gravés dans nos mémoires de cinéphiles. Néanmoins, à la même époque et encore aujourd'hui, le succès de Leone a souvent éclipsé d'autres cinéastes italiens qui ont également marqué le genre au fer rouge. C'est le cas de Sergio Corbucci, réalisateur d'une soixante de films, dont la moitié figurant dans le domaine du western. Ce qui est intéressant avec Corbucci, c'est la variété de ses longs métrages. Si Leone est un cinéaste mythique, il n'aura pas tourné plus d'une dizaine de films et la plupart respectent les codes du western spaghetti – qu'il a lui même inventé: angles de caméras ouverts sur des paysages imposants, cadrages expressifs et très serrés, duels rythmés par la musique de Morricone... Au contraire, Corbucci réinvente son style en s'appuyant tour à tour sur l'ultra-violence (Jango) ou la comédie parodique (Le blanc, le Jaune et le Noir). Dans cette optique, voyons où se place Le Grand Silence, western révisionniste par excellence. Le film est sorti en 1968, la même année que Leone tourne Il était une fois dans l'Ouest, drame intimiste et épique à la fois, à la mise en scène exacerbée, qui est souvent reconnu comme le chant du cygne du western spaghetti. L'esthétique établie par Leone dans ses premières œuvres y est respectée à la lettre. Comment souvent, violence, argent et sexe sont les moteurs d'un scénario qui repose sur une classique histoire de vengeance. Mais cette fois, le ton est moins à l'ironie, plus mélancolique. Comme si le réalisateur jetait un dernier regard sur un genre usé, condamné à disparaître. Effectivement, dès le début des années 70, le western spaghetti s'essouffle et adopte soit une forme plus légère (les pochades burlesques de Terence Hill dans Mon Nom est Personne, 1973), ou plus sombre et réaliste (Mr McCabe and Mrs Miller, 1971). Nul doute que Le Grand Silence appartient à cette seconde catégorie. Le Grand Silence est un film fascinant car il reprend les bases scénaristiques du western spaghetti pour les déconstruire progressivement. Dans le genre du western spaghetti, le héros (ou anti-héros) est un homme brutal et mystérieux, qui parle peu et tire vite. Chez Leone, Clint Eastwood - l'Homme sans nom - se contente souvent de mâchouiller son cigare avant de dégainer. Dans le Grand Silence, le personnage principal est carrément surnommé "Silence" à cause du son mutisme. Difficile de faire plus mystérieux... Mais au cours d'un flash-back sanglant, on apprend qu'il s'est fait trancher les cordes vocales et porte toujours la cicatrice sur son coup. On voit très vite que le réalisateur cherche à établir une atmosphère qui nous est familière (avec les personnages habituels et des situations connues) avant de détourner les codes du genre pour nous mettre mal à l'aise et accentuer la dimension tragique de ses personnages. Ainsi, bien que Morricone signe lui même la musique du film, elle apporte une dimension de tristesse et de tourment, à la fois lyrique et menaçante. Les protagonistes, eux, ont une psychologie bien plus complexe qu'à l'accoutumée et le second degré, souvent utilisé pour anesthésier la violence lors des tueries, brille par son absence. Dans la même veine, contrairement aux westerns de Leone censés se dérouler dans les étendues désertiques et brûlantes du Grand Ouest, l'histoire du Grand Silence prend place dans les montagnes enneigées, en plein cœur de l'hiver. Dès le départ, Corbucci nous plonge dans un décor déprimant et oppressif qui se détache des codes esthétiques habituels. Ici, paysage n'a pas pour but de glorifier un pistolero galopant à l'horizon sur une bande son épique. La neige incessante et traître reflète au contraire l'affliction des personnages et la désolation des lieux. Cette fois, on ne cherche pas à célébrer les aventures des chercheurs de trésors du Bon, de la Brute et du Truand. Et les duels ne se règlent pas non plus dans la rue, sous un soleil implacable et le regard des badauds. Non, ici on doit manger son cheval pour ne pas mourir de faim dans la montagne, et se faire abattre pour un rien est monnaie courante. La loi ne triomphe pas toujours et le mythe du héros qui tire plus vite que son ombre n'a pas sa place dans l'univers du Grand Silence. Les personnages sont tous mémorables mais le chasseur de primes machiavélique incarné par l'acteur allemand Klaus Kinski peut être considéré à juste titre comme l'un des plus grands méchants de l'histoire du cinéma - froid, méthodique et sans pitié, mais avec une prose d'érudit et un humour noir bien à lui. Il est fort à parier qu'il a servi d'inspiration à Christopher Waltz - Allemand, lui aussi - pour son interprétation d'un autre chasseur de primes dans le Django de Tarantino (dont le titre fait bien entendu référence à un autre film de Corbucci). Kinski, l'acteur fétiche de Werner Herzog, est aussi connu pour son jeu d'acteur dérangé que pour ses colères ravageuses sur les plateaux de tournage. Pas étonnant donc que son personnage soit surnommé Loco (« Fou » en Espagnol). D'un point de vue historique, le Grand Silence est un western révisionniste. La mise en scène réaliste de Corbucci, associée à un environnement sinistre et opprimant, aura pavé la route à une nouvelle vague de cinéastes inspirés par cette approche moins manichéenne, qui culminera avec la consécration de Clint Eastwood (Oscar du meilleur réalisateur pour Impitoyable en 1992). Mais c'est aussi un des meilleurs westerns jamais réalisés, d'une brutalité saisissante et d'une intensité dramatique rarement égalée. Ah, et la fin va vous faire l'effet d'un coup de feu dans l'estomac. Voilà, c'est dit. Note : ****

dimanche 6 octobre 2013

La Dernière Licorne

Au cœur d'une forêt enchantée vit Amalthea, une licorne solitaire. Un jour, elle entend deux chasseurs déplorer la disparition des licornes. Serait-elle vraiment la dernière de son espèce? En quête de réponse, elle part à la recherche de ses semblables, accompagnée par un jeune magicien maladroit. Si vous travailliez dans le milieu de l'animation aux USA dans les années 80 mais que vous ne faisiez pas partie des studios Disney, il est peu probable que vos films aient eu du succès au box office. C'est la triste vérité pour La Dernière Licorne, une véritable gemme développée par des passionnés, mais pour qui intégrité n'a pas rimé avec succès financier. Ce qui frappe rapidement en regardant le film, c'est qu'en dépit de moyens limités, l'animation est soignée et le design des personnages, particulièrement intéressant. D'un coté, les courbes délicates d'Amalthea et la blancheur immaculée de son abondante crinière symbolisent la beauté virginale de l'innocence. Son caractère majestueux s'oppose alors radicalement au physique plus rustre et peu avantageux des personnages humains, qui n'est pas sans rappeler le travail de Ralph Bakshi sur Le Seigneur des Anneaux. Il est aussi important de signaler que si La Dernière Licorne est un film américain, le studio responsable de l'animation des personnages est en réalité japonais. Et c'est ce même groupe d'artistes talentueux qui donnera par la suite naissance aux légendaires studios Ghibli. Ce qui en dit long sur la qualité esthétique du film. Cependant, ce serait faire fausse route que de dénigrer le travail effectué par l'équipe anglophone, sur l'aspect sonore cette fois. Le casting vocal, par exemple, est remarquable. Mia Farrow apporte une douceur et une naïveté touchante à la licorne, alors qu'une autre comédienne aurait pu rendre le personnage d'une mièvrerie affligeante. Christopher Lee prête sa voix suave et caverneuse au méchant de l'histoire, qui cherche à capturer toutes les licornes. Pourchassant la jeune et frêle ingénue dans la tour de son château, au bord d'une falaise, il apparaît comme le parfait vilain de la littérature gothique. Rien d'étonnant quand on sait que l'acteur demeure l'une des plus célèbres incarnations de Dracula au cinéma. La musique, plus mélancolique qu’héroïque, reflète à la fois le monde déprimant dans lequel évoluent les protagonistes et la solitude de la licorne. En V.O, le morceau titre, interprété par le groupe America, est une ballade envoûtante qui n'aurait pas fait défaut dans un concert de Power Metal. Si vous aimez le genre, il y a de fortes chances que vous l'écoutiez en boucle après le film. Suivant le scénario de Peter S. Beagle, d'après son propre livre, La Dernière Licorne est un film pour enfants, mais pas un film infantile. En plus d'une légère nudité et de quelques scènes terrifiantes pour les plus jeunes, ce qui différencie le film des dessins animés Disney sortis à la même époque, (Taram et le Chaudron Magique, qui évolue dans un univers semblable), c'est sa maturité assumée. L'humour est certes présent (surtout chez l'extravagance de certains seconds rôles) mais n'éclipse jamais l'importance du scénario. Les situations sont d'ailleurs imprévisibles et les réactions des personnages, indéniablement adultes. La mise en scène épurée nous permet justement d'apprécier le bon-sens des dialogues, qui prennent les enfants pour des êtres intelligents, et non des vaches à lait dénuées de réflexion. La Dernière Licorne est un bijou oublié par le temps. Une ode à la poésie et à l'imagination. Une fable sur la perte de l'innocence. Au même titre que Dark Crystal, l'Histoire sans Fin ou encore Le Secret de Nihm, c'est un film que l'on se doit de montrer à nos enfants pour qu'ils se rendent compte que tous les gimmicks 3D des dessins animés d'aujourd'hui ne remplaceront jamais une belle histoire, mise en scène avec un travail d'orfèvre. Note : ***

vendredi 4 octobre 2013

Runaway Train

Deux évadés d'un pénitencier s'enfuient sur un train dont le conducteur est tombé de la locomotive. Vous vous souvenez peut être d'Unstoppable, sorti en 2010; l'histoire d'un train fou sans conducteur qui menaçait de dérailler au beau milieu d'une ville. Unstoppable est le dernier film de Tony Scott, un réalisateur connu pour ses films d'action violents et spectaculaires. Le film avait reçu de bonnes critiques de la part de la presse pour son rythme frénétique et le charisme des acteurs. Personnellement, je pense que le produit fini ne dépasse jamais la barre du simple divertissement et ne vaut que pour sa mise en scène déchaînée et ses effets sonores assourdissants (le film sera nominé aux Oscars du meilleur son). Un film d'action standard, qui ressemble à tant d'autres, dont le seul intérêt est de tester la puissance des enceintes de votre salon. Si je mentionne Unstoppable, c'est parce qu'il a tout du remake non avoué de Runaway Train, sorti 25 ans plus tôt - et meilleur en tous points. Le grand avantage du film est d'avoir été fait avant la grande époque des images de synthèse et des caméras numériques. Le cinéaste Andrey Konchalovsky choisit ses plans avec intelligence au lieu de les multiplier sans fin, le train paraît réellement foncer à une vitesse folle et les cascades donnent des sueurs froides. Le film instaure donc une tension crue dès le départ sans l'aide factice d'une caméra nauséeuse et d'images saccadées. De même, alors que le film de Tony Scott se noyait dans une mer de couleurs saturées si chères au Hollywood contemporain, Runaway Train se déroule en plein cœur de l'Alaska et baigne dans un monochrome glacé qui souligne la dureté de l'environnement. Enfin, le montage soigné (nominé aux Oscars) et la musique fataliste de Trevor Jones renforcent de manière élégante le pessimisme des situations. Les héros d'Unstoppable étaient de simples types sans histoire qui faisaient leur boulot. Au contraire, Runaway Train met en scène deux évadés de prison, aussi dangereux que dépourvus de charme. Avoir des antihéros patibulaires en guise de personnages principaux dans un film catastrophe est déjà assez rare pour être signalé, mais surtout cela rend les situations bien plus imprévisibles, car on ne peut jamais savoir si les deux criminels vont se venir en aide ou au contraire se poignarder mutuellement. Jon Voight joue un criminel menaçant et nihiliste, à la détermination sans faille. Face à lui, Eric Roberts, campe un détenu débordant de confiance en lui mais un brin simplet. Les deux acteurs se renvoient la balle avec une assurance complice, mais sans jamais tomber dans l'aisance du second degré propre au buddy movie. Ils seront tous deux nominés aux Oscars pour leur performance à fleur de peau. A leurs cotés, Rebecca de Mornay nous rappelle qu'en dehors de son joli minois, elle demeure l'une des comédiennes les plus talentueuses et les plus injustement méconnues du cinéma américain. Le casting est excellent et même les plus petits rôles sont mémorables. Mais le mérite revient surtout à la qualité de l'écriture et la véracité des interactions entre les personnages. Malgré son synopsis assez basique, Runaway Train n'a rien du film d'action stéréotypé auquel on pourrait s'attendre. L'histoire repose sur un scénario original écrit par Akira Kurosawa, le légendaire réalisateur japonais, reconnu pour ses œuvres à la fois profondément pessimistes et humanistes. On reconnait rapidement la patte du maître, autant dans la crédibilité des personnages que dans la portée philosophique des dialogues. La lutte incessante contre le vent et le froid (l'action se déroule en plein cœur de la toundra) et la critique des technologies modernes qui échappent à l'emprise de l'homme rappellent d'ailleurs souvent les thèmes abordés dans Dersou Ouzala (Oscar Meilleur Film Etranger en 1975). Il est vraiment pénible de voir à quel point le cinéma d'action moderne continue sa plongée dans la médiocrité, à toujours se reposer sur des effets de style futiles pour combler la vacuité de scénarios écrits sur des bouts de serviette. Vous souhaitez prendre du recul vis à vis de la majorité des blockbusters récents qui nous infligent des scènes d'action invraisemblables et des répliques sans inventivité servies par les belles gueules de service? Dans ce cas, découvrez Runaway Train et appréciez le jeu d'acteurs qui n'ont pas peur de salir leur image, des scènes d'actions dont l'aspect spectaculaire repose avant tout sur leur réalisme, et des dialogues ciselés mais qui prônent la réflexion. Le tout dans une atmosphère oppressante et dépressive où le happy end des familles n'est pas forcément de rigueur. Note : ***

mardi 2 juillet 2013

Ultime Decision

Une dangereuse organisation terroriste a pris en otage les passagers d'un Boeing 747. Pour David Grant, des services de renseignements, cette action n'est qu'un leurre cachant le vrai but des terroristes: faire exploser l'avion au-dessus de Washington pour répandre un gaz mortel. Assisté par un commando d'élite, Grant va tenter d'intercepter le 747 en vol avant que l'irréparable ne se produise... « Ultime Decision » fait partie de ces innombrables films d'action américains tournés au cours des nineties où un héros courageux et musclé déjoue les pièges de méchants terroristes (du Moyen Orient bien sûr) qui décident de lancer une attaque sur le sol du brave Oncle Sam. Parmi les meilleurs, on trouve évidemment la série des Die Hard (« Piège de Cristal » demeure encore aujourd'hui inégalé en la matière). Et parmi les moins enthousiasmants, on citera les frasques invraisemblables de Steven Seagal. Deux extrêmes que l'on ne saurait rapprocher. Excepté que « Ultime Decision » est réalisé par Stuart Baird, le monteur de « 58 minutes pour vivre - Die Hard 2 » mais qu'un certain Seagal apparaît aussi au générique. Sans grand étonnement, on s'attend donc à ce que l'homme le moins expressif du cinéma d'action fronce les sourcils très fort avant de donner des coups de tatane et de couteau à huitre à tous les barbus enturbannés qu'il croise, dans la plus pure tradition du nanar à la testostérone qui se respecte. Quelle surprise donc qu'après une demi heure introductive, M. Monolithe se fasse éjecter du cadre au propre comme au figuré. En ce court laps de temps, qui comprend pour lui une scène d'action et demi et un paragraphe de dialogue (où il fronce très fort les sourcils, notez bien), l'acteur réussit quand même l'exploit de jouer avec la pire conviction possible. Alors, cachet trop gourmand, divergences artistiques, ou simplement éclair de lucidité de la part du réalisateur, quelque soit la vraie raison, le verdict est sans appel: exit Nanarman, place aux comédiens qui en veulent et qui se donnent la peine d'exister devant la caméra. Après le départ aussi rapide de celui qui s'annonçait bien comme l'acteur principal, on se met vite à réévaluer le potentiel du film. Autant faire un brin de briefing tout de suite: si vous cherchez à mettre la main sur un film d'action bourrin et décomplexé, vous allez roupiller sévère. Avec son linguo technico-militaire, les démonstrations techniques des officiers qui prennent soin d'évaluer leur environnement avant d'agir, et des personnages civils qui échappent aux stéréotypes hollywoodiens de base, le film pourrait être une parfaite adaptation d'un roman de Tom Clancy. En ce sens, il faut comprendre que le script passe un temps considérable à nous décrire les décisions prises par chaque membre du commando et leurs conséquences directes avec le déroulement des opérations. L'action en elle-même est réduite au minimum syndical et il faut attendre les vingt dernières minutes pour que les GI Joe sortent enfin leurs pétoires. « Ultime Decision » nous fait bien comprendre que dans la vraie vie, la matière grise prime sur la masse musculaire. Pour éviter que le public se mette à ronfler à la fin de la première bobine, « Ultime Decision » bénéficie de deux avantages indéniables. D'abord le casting est excellent. Le premier rôle est tenu par Kurt Russel pour qui je ne cache encore une fois pas mon admiration. Avec une aisance qui frôle l'insolence, il parvient à la fois à donner charisme et crédibilité à ce personnage de Monsieur-tout-le-monde embarqué dans une situation qui le dépasse. Mais à la différence d'un surhomme au charme ravageur à la John McClane, David Grant est un binoclard qui brille surtout par sa vulnérabilité. Peu entrainé au maniement des armes et à l'expérience sur le terrain, Grant est un homme qui agit peu mais qui prend les décisions pour les autres. C'est donc en guidant son équipe de soldats surentraînés qu'il va pouvoir prouver le meilleur de lui même. Russel est accompagné par des seconds couteaux solides dont John Leguizamo, soldat sarcastique mais compétent, Oliver Platt et Joe Morton (leurs tentatives pour désamorcer la bombe rappellent le duo Riggs/Murtaugh de « l'Arme Fatale ».) ou encore Halle Berry, hôtesse de l'air courageuse et débrouillarde. Chacun passe suffisamment de temps devant la caméra pour donner une performance mémorable et on s'attache rapidement à eux grâce à la qualité des dialogues et de leurs interactions. Les méchants sont également bien interprétés et surtout, ils sont bien plus que de stupides cibles mouvantes. Les acteurs sont donc irréprochables et le scénario tient la route. Le scénario est tellement efficace qu'on pourrait presque considérer « Rock » de Michael Bay, sorti la même année, comme un véritable plagiat. Rock n'est pas seulement le vestige d'une ère où Michael Bay savait encore tenir une caméra, c'est surtout un incontournable du cinéma d'action – ne serait ce que pour la bande son. Mais en prenant un peu de recul, on s'aperçoit à quel point les deux scripts sont similaires: des terroristes prennent des otages et menacent les Etats Unis avec du gaz toxique. Pour les arrêter, un groupe de militaires hardcore et un gars qui n'a jamais tenu autre chose qu'un pistolet pour laver les vitres infiltrent leur repaire pour tenter de désamorcer les bombes contenant le gaz. Et pour leur mettre toujours plus la pression, ils doivent sauver les otages avant que les jets de l'armée n'arrivent pour réduire tout ce petit monde en cendres. Sinon, c'est pas drôle. La grande différence tient au niveau de la réalisation, qui est le second atout du film. Quand son tour viendra, Michael Bay, bien connu pour son style visuel intimiste, fera rimer fusillades pyrotechniques avec montage frénétique (hystérique?). Au contraire, « Ultime Decision » n'est clairement pas un gros budget et hormis l'inévitable explosion finale, le film met en scène des personnages bavards qui transpirent beaucoup. Le rythme est progressif, l'action est aussi concise que brutale et la majorité du scénario se déroule dans des huis clos sombres et bas de plafond (les couloirs ou la soute de l'avion). Baird a appris les ficelles du suspense grâce à son travail de monteur sur de précédents films d'action sur-vitaminés et prend son temps pour instaurer un climat claustrophobique et une tension des plus excitantes. Les nombreux rebondissements sont ingénieux et vous laisseront aussi pantelants que les protagonistes. Moins impressionnant que « 58 minutes pour vivre » dont il reprend le style visuel et moins explosif que « Rock », avec qui il partage son scénario, « Ultime Decision » reste un thriller viscéral et haletant mené de main de maitre par des acteurs impliqués et charismatiques. La mise en scène de Stuart Baird est sans surprise mais sans faille. Aussi bavard qu'un épisode de « The West Wing » (une référence en matière de répliques ciselées et de tensions géopolitiques) et tout aussi passionnant. Avec un peu d'action à la fin quand même, parce que faudrait pas déconner non plus. NOTE : **

mercredi 23 janvier 2013

Django Unchained

La sortie d'un nouveau Tarantino est toujours un évènement et 'Django' signe le retour de l'enfant terrible du cinéma américain. Déjà abordé dans ses précédentes oeuvres (la scène d'introduction de 'Inglorious Basterds'), 'Django' est la première véritable entrée du cinéaste dans le monde du Western Spaghetti - films de desperados violents et crus, où l'esthétisme domine le réalisme. Gueules patibulaires, panoramas à perte de vus, pistoleros supersoniques, damoiselle en détresse et beautés fatales, tous les gros clichés du genre se partagent l'affiche. Mais Tarantino étant Tarantino, 'Django', est bien plus qu'un simple Western revisité ('Django' est à l'origine un film italien de 1966). Et comme dans tout Western qui se respecte, le casting et l'ambiance sont plus intéressants que le scénario lui même. L'une des meilleures surprises du casting c'est Di Caprio. Le comédien a déjà fait ses preuves maintes fois mais, selon le réalisateur qui le dirige, il est capable du meilleur, comme du pire. Ici, il campe avec panache et aplomb un propriétaire aisé, lubrique et sadique, totalement imbu de soi même, spécialisé dans la vente aux esclaves. Elle est loin l'époque de l'innocent Jack, l'éternel beau blond qui coule avec le navire. Il est rare que l'acteur risque autant de sa personne pour casser son image de jeune premier tombeur de ses dames. Tout en rictus machiavélique, bouc Méphistophélien, et accent Texan à couper à la machette, il est délicieusement méprisable et ne demande qu'à ce qu'on lui jette des pierres - ce qui dans ce cas, est un compliment. Mais que serait un vrai méchant sans son fidèle bras droit ? Ce bras droit c'est Samuel L. Jackson, qui depuis ses élucubrations bibliques dans 'Pulp Fiction' a toujours été associé avec Tarantino dans l'esprit collectif. Tout comme Di Caprio, il joue les méchants avec une délectable efficacité. Crâne dégarni, vociférant ses insultes à qui peut l'entendre, et gonflant ses yeux comme une vieille grenouille fatiguée, l'acteur est méconnaissable mais ses répliques assassines font mouche à tous les coups. Sa présence est tellement évidente qu'on se demande presque comment deux heures de film ont pu s'écouler avant qu'il ne fasse son entrée. La réponse tient en deux mots : Christopher Waltz. Révélé au grand public par Tarantino lui même dans "Inglorious Basterds", Waltz démontre encore une fois un vrai talent pour composer les personnages hors normes, aussi charismatiques qu'inquiétants de brutalité. Hans Landa était le méchant nazi que tout le monde adorait détester, à la fois charmeur et bouffon, érudit et violent. Dans 'Django', il incarne le second couteau amusant, toujours aux cotés du héros. Mais grâce à sa verve intarissable, ses mimiques grotesques et son talent de polyglotte, Waltz tire la couverture à lui sans le moindre effort pendant plus de la moitié de la pellicule et reçoit une seconde nomination aux Oscars bien méritée. Tarantino a toujours eu un talent indéniable pour écrire des seconds rôle de qualité et ici il s'en est donné à coeur joie. Et justement face à tous ces hurluberlus de théâtre et méchants de foire, Jamie Foxx reste étonnamment en retrait dans le rôle principal. Pratiquement muet pendant la première moitié de l'histoire, Foxx compense son manque de dialogue par un regard incendiaire et un physique de figure de mode masculine. Mais la gâchette la plus rapide de l'Ouest du Mississippi fait pale figure face aux hommes sans nom à l'harmonica et autres Clint Eastwood de la belle époque. S'il a bien la tête de l'emploi, il lui manque ce coté sale et poussiéreux qui caractérise les icônes du Western italien si chers au réalisateur. En revanche, il est bien plus crédible en égérie funk de la Blaxploitation - un autre style de cinéma que Tarantino a absorbé durant sa jeunesse, et dont 'Django' multiple les références ad nauseam. Entre flashbacks poisseux (où la caméra s'attarde sur des actrices violentées qui surjouent), un grain d'image glauque de cinéma porno, des zooms ultra-rapides sur le visage déterminé du héros, des morceaux de Hip-Hop sur fond de révolution raciale, des longs manteaux à la 'Shaft', et un caméo inutile de Tom Savini, Tarantino aligne les plus gros clichés du genre pour le plus grand plaisir des connaisseurs. Le thème principal du film, basé sur la vengeance d'un noir contre la société qui l'a opprimé, est en lui même un clin d'oeil classique des films de Blaxploitation. 'Django' est donc autant un Western moderne qu'un hommage aux films de genre des années 70. Toutes ces références à l'univers Black pourrait nous amener à comparer 'Django' à 'Jackie Brown', l'autre film de Tarantino qui reprend les grands principes de l'univers 70's. Mais se serait plutôt du coté de 'Kill Bill' que le film lorgne le plus. En effet, bien loin de la richesse de 'Pulp Fiction' et de l'intelligence du scénario de 'Inglorious Basterds', Django est surtout un patchwork de références cinématographiques en tous genres, liées ensembles par une invraisemblable histoire de vengeance aveugle. Objectivement, l'histoire est moins travaillée que les précédents opus de Tarantino - 'Death Proof' excepté - et le film parait parfois un peu longuet dans son déroulement. 'Django' est d'ailleurs son oeuvre la plus classique en matière de chronologie, ce qui élimine d'emblée plusieurs surprises et rebondissements. De là à dire que le film est mauvais, il y a un pas que l'on ne saurait franchir. Si le scénario reste basique, c'est surtout qu'il joue sur des archétypes très bien construits : le héros qui s'émancipe de son rang pour devenir une légende, accompagné par son fidèle tuteur, et qui devra surmonter mille embuches pour conquérir sa belle et occire du vilain. Mais Tarantino est parfaitement conscient que son film se déroule comme un conte pour enfant. Un des personnages se met même soudain à raconter une ancienne légende pour mettre en valeur le caractère mythologique des protagonistes du film. Autant dans le fond, 'Django' s'avère donc classique, autant Tarantino - fidèle à lui même- soigne sa mise en scène dans les moindres détails. Le cinéaste est depuis longtemps passé maitre dans l'art de la composition et le coté visuel est un pur bonheur. Qu'il éclaire ses diners aux chandelles version 'Barry Lyndon', qu'il filme des chevauchées dans des plaines enneigées sorties tout droit de la 'Prisonnière du Désert', ou qu'il repeigne les murs en rouge - littéralement - à la Abel Ferrara (pour un Western Spaghetti, Tarantino ne lésine pas sur la Bolognaise), chaque plan est une véritable leçon de cinéma. Mélange improbable de Hip Hop des familles, de musique classique et de compositions héroïques, l'ambiance sonore est également d'une grande qualité. En grand fan qui ne se refuse rien, Tarantino a même demandé au célèbre Ennio Morricone (à qui on doit les plus grands thèmes du cinéma Spaghetti) de lui composer un ou deux morceaux uniques. En cas d'absence de musique, les dialogues ont la part belle, et l'écriture Tarantinesque est décidément un modèle du genre. Si les personnages ne sont pas tous intéressants, les dialogues subversifs (notamment une scène d'anatomie qui va faire couler de l'encre) et les joutes verbales fascinent. Certaines scènes, comme la découpe des masques - digne héritière des surnoms colorés de 'Reservoir Dogs' - sont à en mordre les accoudoirs. L'humour est clairement le point fort de 'Django'. Ses qualités plastiques indéniables le mettent directement sur un pied d'égalité avec 'True Grit' des frères Cohen. Mais quand les Cohen avaient malheureusement égaré leur balai dans leur fondement, Tarantino instaure une ambiance à la fois irrationnelle et électrisante qui n'appartient qu'à lui. En vrac, le cinéaste nous offre des fusillades explosives et ultra-violentes sur fond de RZA, une charge de cavalerie opératique, une description poignante et non-manichéenne de l'esclavage, du tir sur bonhomme de neige, une scène en Allemand sous-titré, des flashbacks volontairement outranciers, des plans panoramiques à la Sergio Leone, ou encore une rencontre improbable avec le Django original… Bref, du grand n'importe quoi, sans lien flagrant, qui a le mérite de nous surprendre constamment et de nous garder avec un sourire idiot jusqu'à la dernière bobine. Le casting est exceptionnel, la réalisation exemplaire et les dialogues se boivent comme du petit lait. Tour à tour exubérante et délicate, hilarante et poignante, intimiste et épique, la mise en scène de Tarantino exprime son désir de gosse de partager son amour du 7ème art et de se faire plaisir avant tout. 'Django', c'est surtout une aventure rocambolesque, aux multiples facettes, extrêmement soignée sur la forme, mais un peu délaissé dans le fond. Malgré le contexte sérieux de ségrégation et de racisme, le film s'apparente le plus souvent à une farce, et comparé à la maturité de certaines oeuvres du cinéaste, on pourra bien reprocher à 'Django' un coté puéril assumé. Mais que peut-on attendre d'autre d'un réalisateur qui se fait sauter à la dynamite dans son propre film…? Note : ***