jeudi 10 février 2011

The Fighter


Micky Ward est un jeune boxeur dont la carrière stagne. Il va rencontrer Charlene, une femme au caractère bien trempé, qui va l'aider à s'affranchir de l'influence négative de sa mère, qui gère maladroitement sa carrière, et de ses sœurs.


C'est moi ou les films sur la boxe sont de véritables appâts à Oscars? Que ce soit les grands classiques comme « Rocky » ou « Raging Bull », le plus récent « Million Dollar Baby » ou encore le méconnu « De l'ombre à la lumière », tous ces films ont, au moins, été nominés pour une flopée de récompenses. Et avec une impressionnante collection de nominations aux Oscars à la clé (7!), c'est exactement le même parcours qu'attend « The Fighter ».

Mais pourquoi ce noble sport qu'est la boxe attire autant l'attention du public et de la critique au détriment des autres sports? En effet Michael Jordan n'a jamais rien obtenu pour sa prestation dans « Space Jam ». Mauvais exemple, admettons. Mais la question reste ouverte. C'est peut être que sur le ring comme dans la rue, la vie d'un boxeur est un combat de tous les instants, ce qui rend les personnages si complexes et leur histoire si passionnante. Sans oublier que la plupart viennent d'un milieu difficile et que c'est à la sueur des poings et la forcr de leur front (ou l'inverse) qu'ils doivent se battre pour gravir les échelons. L'histoire intemporelle du pauvre gars défavorisé qui réussit grâce à son seul talent et à sa détermination. Le rêve américain en somme. « From rags to riches » comme on dit là bas.

« The Fighter » ne faillit pas à la règle d'or et présente donc le personnage principal, le jeune Micky Ward (Mark Wahlberg), durant les différentes étapes de son ascension. Pour le rôle, Wahlberg s'est forgé un vrai physique de combattant d'arène et arbore une musculature de statue grecque. En revanche, grand habitué du film d'action sans prétention (« The Shooter », « Max Payne », « Braquage à l'Italienne »), il a rarement fait parler de lui pour son jeu de comédien. On le voyait donc mal donner de la profondeur à son personnage. Mais c'est oublier que Walhberg a également brillé dans « Boogie Nights » et qu'il a été nominé aux Oscars pour sa prestation de flic sarcastique et dur à cuire dans « The Departed », damant au passage le pion à des comédiens de renom tels que Jack Nicholson et Martin Sheen... Tout ça pour dire que Wahlberg est loin d'être un simple acteur de série B et il le prouve avec élégance et retenue dans « The Fighter ». Malgré sa carrure de dieu vivant (qui l'impose d'emblée sur le ring) c'est en effet son jeu lui même qui retient l'attention. Loin de jouer les gros bras (si j'ose dire), Wahlberg apporte une douceur et un calme inattendu pour ce genre de rôle, faisant de Micky Ward un personnage touchant plus proche du Rocky de Stallone que de De Niro dans « Raging Bull ». Certainement l'un des meilleurs rôles de sa carrière.

Mais comme ses prédécesseurs, « The Fighter » ne démontre pas le talent d'un seul acteur mais bien de tout un pan de casting. Et le succès du film doit énormément à une palette de rôles secondaires, étoffés et convaincants. Plus que l'histoire d'un seul homme, « The Fighter » dépeint, avec justesse et force de sentiment, une famille entière, en conflit et réconciliation permanents. En effet, ce qui caractérise le film c'est la relation qu'entretient Micky avec son frère aîné, ancien boxeur un peu simplet et shooté au crack, incarné à l'écran par Christian Bale. De même que pour Wahlberg, Bale était un choix de casting aussi risqué qu'audacieux car l'acteur est surtout mondialement connu pour son interprétation monolithique du justicier masqué de Gotham, ce qui ne sied guère au rôle qui lui est attitré ici. Mais comme Wahlberg, Bale possède deux facettes bien distinctes. Quand il ne joue pas les soldats inexpressifs (« Terminator : Renaissance », « Equilibrium »), Bale sait surtout se glisser dans la peau de personnages bizarres, aussi illuminés que charismatiques (« American Psycho », « Rescue Dawn »). Dans « The Fighter », il se cache derrière son personnage d'huluberlu avec aisance, perdant plus de 20 kilos pour le rôle et arborant un sourire niais et des yeux hagards tout au long du film.

Faire l'idiot au cinéma, tout le monde peut le faire. Mais jouer les idiots demande en réalité une grande intelligence de la part du comédien pour éviter de sombrer dans la caricature et le grotesque. Il faut parvenir à faire rire de soi sans pour autant se ridiculiser ce qui n'est pas le plus évident. La preuve en est que les plus grands idiots du 7ème art, Jim Carrey (« Ace Ventura »), Jeff Bridges « The Big Lebowski », ou encore Jacques Villeret (« Le dîner de cons ») pour rester dans nos contrées francophones, sont tous de grands comédiens maintes fois récompensés pour leur talent. Christian Bale est désormais à compter parmi eux. Malgré l'exubérance de son personnage, l'acteur parvient à conserver toute son humanité et sa crédibilité. Mieux encore, il reéussit à rendre attachant un junkie qui ne se rend pas compte qu'en plus de détruire sa vie, il entraîne toute sa famille avec lui. Une performance surprenante qui lui a déjà valu le Golden Globe du meilleur second rôle.

Aux côtés de ces deux superbes prestations masculines s'ajoutent celles de deux actrices, toutes deux dignes d'une nomination pour la statuette. En mère acariâtre et blasée autoproclamée entraineuse de boxe, Melissa Leo impressionne à la fois par l'amour pour ses enfants qui l'anime et la rage intérieure qui la consume. De par sa force de caractère, elle n'a aucun mal à nous convaincre qu'elle a élevé une dizaine d'enfants à elle seule. Dans un registre totalement différent, Amy Adams campe la petite amie de Micky, bien moins niaise et stupide que les bimbos habituelles dans ce genre de rôle. Le genre de fille qui sait gérer sa vie sans l'aide de personne et à qui on la raconte pas. Autant dire que quand les deux femmes se rencontrent, les étincelles fusent et les hommes entament un repli stratégique bien senti...

Les louanges des acteurs mis à part, le film en lui même reste remarquable en tout point. La réalisation de David O. Russel est précise et efficace. L'histoire se déroule sans temps mort ni scène d'exposition inutile. Au lieu de présenter longuement chaque personnages, Russel préfère les laisser évoluer librement pour mieux appuyer leurs qualités et leurs défauts. Car dans ce monde de lutte incessante, personne n'est parfait. Et dans ce portrait de famille dysfonctionnelle, on retrouve presque la patte de Sam Mendes (« American Beauty ») en ce sens où le réalisateur se contente de mettre en scène ses personnages sans porter de jugement sur leur façon d'agir. Le film évite ainsi toute moralisation malvenue.

En ce qui concerne la narration elle même, la mise en scène de Russel lorgne plus du côté de Paul Thomas Anderson (« Boogie Nights », « There Will be Blood »). Non seulement pour ses transitions abruptes et sa chronologie aléatoire mais aussi pour le soin apporté à la musique. Sans oublier une capacité indécente à toujours rester sur le fil du rasoir entre drame et comédie. Enfin en ce qui concerne les matchs de boxe, des effets sonores percutants et un montage acéré (nominé aux Oscars) nous plongent au cœur du ring et nous laissent sur le carreau comme après un coup à l'estomac. Du grand art.



Plus qu'un excellent film de boxe, la réalisation sans faille et un casting de haut niveau font de « The Fighter » un excellent film tout court. Christian Bale a rarement été meilleur. De nombreux critiques considèrent « The Fighter » comme le « Rocky de la nouvelle génération ». Néanmoins, contrairement à son modèle et en dépit de nombreux moments forts, le film de David O. Russel ne possède aucune scène d'anthologie, ce qui l'empêche de prétendre à la ceinture de champion. Il n'en reste pas moins un sacré poids lourd dans sa catégorie.

Note : ****

mardi 8 février 2011

Black Swan



Rivalités dans la troupe du New York City Ballet. Nina est prête à tout pour obtenir le rôle principal du Lac des cygnes que dirige l’ambigu Thomas. Mais elle se trouve bientôt confrontée à la belle et sensuelle nouvelle recrue, Lily...


Si je vous dis de penser au Lac des cygnes, il est très vraisemblable que vous aller voir défiler devant vos yeux des jeunes filles en fleur à la légèreté peu commune, des tutus affriolés difficile à porter dans la rue et des soupirants bondissants aux costumes un peu trop étriqués au niveau de la ceinture. En revanche, peu d’entre vous songeraient à associer de classique de la danse qui ne l’est pas moins à des thèmes moins recommandables tels que la schizophrénie, la bisexualité, l’abandon de soi à travers la consommation de drogues, ou encore l’onanisme féminin. Tout le contraire du réalisateur Darren Aronofski qui s’en donne à cœur joie en abordant sans retenue les sujets précédemment cités…

Méconnu du grand public, Aronofski n’en reste pas moins une figure de proue du cinéma indépendant. Difficile en effet d’oublier le cultissime « Requiem for a Dream », ses personnages pris dans une spirale infernale et sa musique obsédante. Après un passage à vide de quelques années suite à l’échec commercial de « The Fountain », le cinéaste est revenu sur le devant de la scène avec l’émouvant « The Wrestler » prouvant à ses détracteurs qu’il en avait encore dans le ventre.

Et dans « Black Swan » en avoir dans le ventre, c'est que l'on demande au spectateur pour supporter ce qu'il voit à l'écran. Car si l’univers du ballet et du catch n’ont à priori rien en commun, le film partage de nombreuses similitudes avec son prédécesseur, et spécialement dans la démonstration des capacités physiques intenses des comédiens. En s’approchant au plus près des danseuses, Aronofski nous dévoile la dure réalité des répétitions. Ici les côtes fêlées et les os broyés des lutteurs sont simplement remplacés au pied levé (c’est le cas de le dire) par les tendons étirés à l’extrême, les ongles écrasés et autres déchirures musculaires assez désagréables et peu ragoûtantes. Cette plongée dans les coulisses de la danse nous dévoile un univers finalement peu connu où la vie n'est certainement pas aussi rose que sur les planches. Les danseuses doivent s'entrainer sans relâche, souvent au détriment (voire au mépris) de leur propre corps, pour à la fin atteindre la perfection dans leurs gestes les plus infimes.

Et c'est bien à cette perfection que tend Nina, jeune danseuse mal dans sa peau et psychologiquement instable, interprétée – à la perfection pour sûr – par Natalie Portman. Révélée à 11 ans (!) aux côtés de Jean Reno dans « Léon », l'actrice n'a depuis cessé de prouver son talent, jonglant sans peine entre blockbusters commerciaux (la nouvelle trilogie Star Wars) et films au budget plus intimistes, entre drame (« Brothers ») et comédie (« Garden State »).

Sa carrière, courte mais prolifique, lui vaut l'admiration des critiques comme du grand public et l'affirme comme l'une des comédiennes les plus talentueuses de sa génération. Grâce à sa prestation dans « Black Swan », elle a déjà remporté le Golden Globe de la meilleure actrice et il est possible que la fameuse statuette tant convoitée lui soit enfin accordée. C'est que pour jouer Nina, Portman s'est physiquement métamorphosée afin d'effectuer elle même les nombreux pas de danse demandés dans le film. Mais plus que dans le jeté et les pas de deux, c'est bien dans son jeu que l'actrice se révèle la plus surprenante. Maitrisant à merveille la dualité de son personnage, elle se fait d'abord vulnérable et prude avant de nous dévoiler un côté cruel insoupçonné et une sensualité exacerbée.

Tantôt fragile, tantôt effrayante, l'actrice ne recule devant aucun tabou et déploie une palette d'émotion impressionnante mais toujours juste. Nina est sans conteste le plus grand rôle de l'actrice à ce jour. Et si Portman est de tous les plans, on retiendra également les interprétations superbes de Mila Kunis (sexuelle et libérée), Barbara Hershey (mère sur-protectrice et désespérée à mi chemin entre « Requiem for a Dream » et « Carrie ») et de Vincent Cassel (suintant de virilité). Sans oublier la courte apparition de Winona Ryder dans une scène qui marquera les esprits.

Mais autant que les comédiens, « Black Swan » ne serait rien sans les talents derrière la caméra. Loin des mondes féériques et enchanteurs que décrit la danse classique, le film nous plonge dans un univers malsain et glauque où sexe et perversion sont rois. En privilégiant des couleurs criardes, des images crues et un grain photoréaliste, Aronofski instaure un malaise constant qui n'est pas sans rappeler l'univers poisseux de Gaspard Noé (« Irréversible »). Caméra à l'épaule, il adopte un style quasi documentaire qui renforce l'impression de faire partie intégrante de la scène. La caméra ne quitte jamais les acteurs des yeux, nous dévoilant tout de leur intimité. Le spectateur devient alors voyeur et le mal être n'en est que plus intense. Mal être accentué par la musique incessante et obsessionelle du compositeur attitré du réalisateur, Clint Mansell.

On pourra reprocher au scénario de « Black Swan » d'être un peu trop simpliste. Mais ce n'est qu'une apparence. Alors qu'il s'agit aux premiers abords d'une vulgaire relecture du Lac des cygnes, « Black Swan » joue entièrement sur la dichotomie cygne noir/cygne blanc, et de ce fait sur les deux personnalités de l'héroine. Mais là encore, difficile d'y voir clair. Abusant d'un ingénieux jeu de miroir, d'hallucinations terrifiantes et d'un maquillage outrancier (plusieurs clin d'oeil au cinéma de Cronenberg), Aronofski brouille habilement les pistes dès le début à propos de ce qui est réel et de ce qui ne l'est pas. Ainsi, l'histoire basique instaurée lors du spectacle de danse se mue en un de ces labyrinthes scénaristiques vertigineux à la David Lynch où aucune sortie n'est visible. Pour ceux qui ont passé des jours à se triturer les méninges pour tenter de décrypter la fin d'« Inception » (tombera, tombera pas?), les dernières minutes de « Black Swan » vous promettent de nombreuses nuits blanches supplémentaires.




Sex, drugs et danse classique. Profondément dérangeant mais aussi terriblement excitant, « Black Swan » sonde les tréfonds de l'âme humaine dans ce qu'elle a de plus noir. Les thèmes abordés, l'univers sombre et sordide et certaines scènes à la limite de l'écœurement ne rendent définitivement pas le film abordable au tout public. D'après un des personnage du film : « le ballet n'est pas ennuyeux. C'est juste pas pour tout le monde ». On peut dire de même pour « Black Swan ». Mais passer à côté, c'est risquer de manquer l'un des meilleurs films de l'année et la performance exceptionnelle et bouleversante d'une actrice qui donne le meilleur d'elle même pour supporter un scénario d'une rare maturité.


Note: ****