mercredi 12 septembre 2012

Les Yeux sans Visage
Chirurgien de renom, le Dr. Genessier souhaite remodeler le visage de sa fille Christiane, rendue méconnaissable suite à un accident de voiture, mais pour cela il doit effectuer des greffes de peau qu'il aura prélevée sur des jeunes filles. A l'heure où le cinéma d'Horreur ne jure plus que par le Grand Guignolesque des 'Saw' et autres 'Hostel', il est parfois bon de se remémorer qu'il fut un temps où les cinéastes ne confondaient pas encore terreur extreme et simple dégout. Que ce doux frisson qui nous parcourt l'échine et nous cramponne à notre fauteuil est rarement lié au nombre de litres de sang versés à l'écran. Et surtout que manque de moyens n'est pas synonyme de manque d'idées. 'Les Yeux sans Visage' est un petit bijou d'esthétisme. De part la sauvagerie et l'atrocité du sujet, on aurait pu s'attendre à une débauche de gros plans grossiers et une ambiance putride et suintante, mais le film impressionne au contraire par la finesse et le classicisme de la mise en scène. La caméra, généralement fixe et en retrait, et le montage minimaliste ciselé au scalpel capturent avec attention chaque détail et chaque parcelle de dialogue mais sans jamais se faire trop présents. Si cet aspect quasi-documentaire rend les conversations naturelles (et parfois un peu théâtrales), il révèle tout son potentiel lors de la grande scène de chirurgie faciale. Etirant la séquence jusqu'à l'insoutenable, sans jamais détourner la caméra au moment fatidique, le réalisateur français Georges Franju crée une sensation viscérale de voyeurisme qui demeure bien après le générique. Il est difficile d'imaginer quel impact a eu la scène lors de la sortie du film en 1959 mais plus d'un demi siècle après elle n'a rien perdu de son efficacité. John Woo y rendra d'ailleurs hommage dans 'Volte/Face' quelques 30 ans plus tard. Le film est également une reprise élégante et habile du cinéma Gothique d'antan. On y retrouve en effet, les archétypes du genre, à commencer par le chirurgien méphistophélique, (Pierre Brasseur, machiavélique et imposant) aidé de sa fidèle assistante (Alida Valli, sourire meurtrier et accent à couper au couteau) qui pourchasse et capture de jeunes ingénues effarouchées pour ses expériences malsaines. On voit bien vite planer l'ombre des savants fous d'autrefois (Dr Moreau, Dr Mabuse, …) et autres comtes pervers et démoniaques. D'autant plus que les expériences du docteur ont servi à créer un monstre (référence évidente à Frankenstein et ses confrères) et que l'action se déroule principalement en huis clos dans un manoir éloigné de tout signe de civilisation. La scène où le docteur poursuit infatigablement la jeune fille dans les escaliers sur plusieurs étages est d'ailleurs un classique du genre. Sans oublier que visuellement, l'image est d'une beauté rare. Empruntant à la fois aux peintres surréalistes (la Mort au visage d'ange) et aux cinéma Expressionniste des années 20 (Edith Scob, ou 'les yeux les plus expressifs des Sixties' !), 'Les Yeux sans Visage' marie le macabre et le sublime avec un panache sans égal. Moins médiatisé que son contemporain britannique Hitchcock, Franju partage avec le Maitre, un goût prononcé pour un noir et blanc blafard, une mise en scène faussement dépouillée et un talent inné pour faire sursauter le public. Cependant, si Hitchcock maniait l'horreur à double tranchant, avec un plaisir certain pour l'ironie et le second degré, Franju n'offrira jamais au spectateur l'occasion de pousser un soupir de soulagement. Si les dialogues portent parfois à sourire, ce sera plus par leur aspect désuet que par une vraie volonté de distraire. Malgré le coté rocambolesque des situations, les personnages sont incroyablement vrais et humains - et non pas de vulgaires stéréotypes au service d'un gore à outrance - et le film conservera son réalisme glacial jusqu'à la dernière image. Et si le scénario en lui même n'est en soi pas révolutionnaire, Franju se délecte à nous le dévoiler au compte goutte et joue avec les non-dits pour nous laisser deviner ce qu'il ne nous montre pas. Et à ce petit jeu, il nous tient constamment à l'affut. La scène d'introduction est par ailleurs un modèle de narration muette. Bien moins connu du grand public que 'Psychose' et autres 'What Happened to Baby Jane ?', 'Les Yeux sans Visage' et la réponse gauloise au cinéma d'horreur anglo-américain psychologique des années 60. Encore aujourd'hui le film reste fascinant par son traitement sans concession d'un scénario diaboliquement pervers qui en d'autres mains aurait rapidement pu tourner à la série Z. La réalisation classique et le noir et blanc épuré accentuent le réalisme des effets spéciaux et nous plongent rapidement dans une terreur sans nom. Grace à une mise en scène minimaliste mais raffinée, Franju prend le temps de soigner chaque plan sans pour autant étouffer ses personnages, et son audace à toujours repousser les limites de la censure laisse pantois. Longtemps attaqué par la censure et aujourd'hui reconnu à sa juste valeur, 'Les Yeux sans Visage' est à classer parmi les plus grands titres du cinéma d'Horreur. Si sa réputation ne s'est faite qu'au fil des ans, son influence grandissante n'a cessé d'inspirer les plus grands cinéastes génération après génération. Si récemment Pedro Almodovar nous proposait un remake éloigné au script encore plus tordu ('The Skin I Live In'), on pourra également reconnaître les mythiques masques inanimés des tueurs de 'Halloween' et de 'Scream' comme des lointains cousins du masque d'argile emblématique du film. Note : ****