vendredi 4 octobre 2013

Runaway Train

Deux évadés d'un pénitencier s'enfuient sur un train dont le conducteur est tombé de la locomotive. Vous vous souvenez peut être d'Unstoppable, sorti en 2010; l'histoire d'un train fou sans conducteur qui menaçait de dérailler au beau milieu d'une ville. Unstoppable est le dernier film de Tony Scott, un réalisateur connu pour ses films d'action violents et spectaculaires. Le film avait reçu de bonnes critiques de la part de la presse pour son rythme frénétique et le charisme des acteurs. Personnellement, je pense que le produit fini ne dépasse jamais la barre du simple divertissement et ne vaut que pour sa mise en scène déchaînée et ses effets sonores assourdissants (le film sera nominé aux Oscars du meilleur son). Un film d'action standard, qui ressemble à tant d'autres, dont le seul intérêt est de tester la puissance des enceintes de votre salon. Si je mentionne Unstoppable, c'est parce qu'il a tout du remake non avoué de Runaway Train, sorti 25 ans plus tôt - et meilleur en tous points. Le grand avantage du film est d'avoir été fait avant la grande époque des images de synthèse et des caméras numériques. Le cinéaste Andrey Konchalovsky choisit ses plans avec intelligence au lieu de les multiplier sans fin, le train paraît réellement foncer à une vitesse folle et les cascades donnent des sueurs froides. Le film instaure donc une tension crue dès le départ sans l'aide factice d'une caméra nauséeuse et d'images saccadées. De même, alors que le film de Tony Scott se noyait dans une mer de couleurs saturées si chères au Hollywood contemporain, Runaway Train se déroule en plein cœur de l'Alaska et baigne dans un monochrome glacé qui souligne la dureté de l'environnement. Enfin, le montage soigné (nominé aux Oscars) et la musique fataliste de Trevor Jones renforcent de manière élégante le pessimisme des situations. Les héros d'Unstoppable étaient de simples types sans histoire qui faisaient leur boulot. Au contraire, Runaway Train met en scène deux évadés de prison, aussi dangereux que dépourvus de charme. Avoir des antihéros patibulaires en guise de personnages principaux dans un film catastrophe est déjà assez rare pour être signalé, mais surtout cela rend les situations bien plus imprévisibles, car on ne peut jamais savoir si les deux criminels vont se venir en aide ou au contraire se poignarder mutuellement. Jon Voight joue un criminel menaçant et nihiliste, à la détermination sans faille. Face à lui, Eric Roberts, campe un détenu débordant de confiance en lui mais un brin simplet. Les deux acteurs se renvoient la balle avec une assurance complice, mais sans jamais tomber dans l'aisance du second degré propre au buddy movie. Ils seront tous deux nominés aux Oscars pour leur performance à fleur de peau. A leurs cotés, Rebecca de Mornay nous rappelle qu'en dehors de son joli minois, elle demeure l'une des comédiennes les plus talentueuses et les plus injustement méconnues du cinéma américain. Le casting est excellent et même les plus petits rôles sont mémorables. Mais le mérite revient surtout à la qualité de l'écriture et la véracité des interactions entre les personnages. Malgré son synopsis assez basique, Runaway Train n'a rien du film d'action stéréotypé auquel on pourrait s'attendre. L'histoire repose sur un scénario original écrit par Akira Kurosawa, le légendaire réalisateur japonais, reconnu pour ses œuvres à la fois profondément pessimistes et humanistes. On reconnait rapidement la patte du maître, autant dans la crédibilité des personnages que dans la portée philosophique des dialogues. La lutte incessante contre le vent et le froid (l'action se déroule en plein cœur de la toundra) et la critique des technologies modernes qui échappent à l'emprise de l'homme rappellent d'ailleurs souvent les thèmes abordés dans Dersou Ouzala (Oscar Meilleur Film Etranger en 1975). Il est vraiment pénible de voir à quel point le cinéma d'action moderne continue sa plongée dans la médiocrité, à toujours se reposer sur des effets de style futiles pour combler la vacuité de scénarios écrits sur des bouts de serviette. Vous souhaitez prendre du recul vis à vis de la majorité des blockbusters récents qui nous infligent des scènes d'action invraisemblables et des répliques sans inventivité servies par les belles gueules de service? Dans ce cas, découvrez Runaway Train et appréciez le jeu d'acteurs qui n'ont pas peur de salir leur image, des scènes d'actions dont l'aspect spectaculaire repose avant tout sur leur réalisme, et des dialogues ciselés mais qui prônent la réflexion. Le tout dans une atmosphère oppressante et dépressive où le happy end des familles n'est pas forcément de rigueur. Note : ***