mercredi 25 décembre 2013

Gravity

Quand une pluie de débris détruit leur navette spatiale, deux astronautes, Ryan Stone et Matt Kowalski se retrouvent à la dérive dans l'espace... ‘Dans l’espace personne ne vous entendra crier. C’est pourtant pas faute d’avoir essayé.’ C’est ce qu’a du se dire Ryan (Sandra Bullock), une astronaute taciturne, indépendante et solitaire - mais non dépourvue de bravoure - et l’héroïne du nouveau film d’Alfonso Cuaron. Au même titre que ses confrères Guillermo del Toro et Robert Rodriguez, Cuaron est un des rares réalisateurs mexicains contemporains qui a réussi à Hollywood, mais en imposant son propre style. Rodriguez se complaît désormais dans la violence outrancière et le mauvais goût assumé avec des films bas de plafond, vite vus, vite oubliés. A l'opposé, Cuaron et Del Toro privilégient une écriture soignée et le travail de mise en scène pour créer des chefs d’oeuvre qui marquent le 7ème art (Le Labyrinthe de Pan pour l'un et Les Fils de l’Homme pour l'autre, pour ne citer qu’eux). Et Gravity est clairement le genre de film sorti de nulle part, mais dont vous allez entendre parler longtemps. L’aspect visuel est assurément un des points fort du film. Gravity n’est certes pas le premier film à suspense à mettre en scène des cosmonautes à la dérive, mais rares sont ceux avant lui à atteindre une telle perfection. La maîtrise du cadre et la photographie exceptionnelle mettent en valeur la perte de repère spatial d’une part – quand la planète entière n’est plus qu’un vertigineux tableau abstrait autour duquel on tourbillonne sans fin, en cherchant vainement une quelconque direction. Et d’autre part, elles accentuent la froideur oppressante de l'univers et la claustrophobie des différents habitacles visités. Sans oublier que Cuaron est un passionné d’astronomie. Tout jeune, il rêvait de devenir astronaute. Sa passion d’enfance transparaît à l’écran grâce à une connaissance fidèle de la technologie et des équipements utilisés dans le film. Bien que ces derniers restent inaccessibles au commun des mortels, la crédibilité demeure le maître mot. Gravity aurait pu être tourné dans un simple studio ou réellement dans l'espace, on ne saurait voir la différence. L’absence de gravité à elle seule est un effet visuel bluffant. Les personnages tournent constamment sur eux même, comme prisonniers d'une bulle invisible. Cuaron multiplie alors des plans séquence interminables et laisse sa camera flotter librement à leurs côtés, sans discontinuer, dans un style quasi documentaire. Selon le besoin, il colle littéralement au visage des comédiens, capturant ainsi leurs moindres émotions. Ou au contraire, il s’éloigne jusqu’à ce que les cosmonautes ne soient plus qu’une faible lueur, lentement avalée par les ténèbres. Cuaron parvient même à nous placer directement dans le scaphandre de l’héroïne, en vision subjective. Dans la peau de Ryan, on retient alors notre respiration, quand la sienne résonne dans son casque. Même lorsque l’action prend le dessus, Cuaron se fait l’anti Michael Bay par excellence. Alors qu'une station orbitale est réduite en charpie et qu'une multitude de débris métalliques traversent les cieux, la pyrotechnie brille par son absence, et le chaos à l’écran reste d’une clarté magistrale. Un silence de mort envahi l'écran - comme le son ne se propage pas dans le vide - tandis que des percussions fatalistes tentent de nous accabler émotionnellement. Rien que pour sa beauté plastique et son hyper-réalisme, Gravity mérite des louanges. Mais tous les effets spéciaux du monde ne sauraient remplacer un script solide et des acteurs dignes de ce nom. Dans un sens, Gravity s’apparente à un 127 heures dans les étoiles. En effet, les deux films se concentrent sur une personne aspirant à la solitude, qui se retrouve perdue au milieu de nulle part, dans des conditions extrêmes, sans moyen de communication et des ressources limitées. Par chance, Alfonso Cuaron et Danny Boyle partagent un indéniable talent de conteur et de directeur d’acteurs. Si James Franco a remporté une nomination comme Meilleur Acteur pour 127 heures, il est fort à parier que Sandra Bullock va suivre le même chemin. Déjà détentrice d’un Oscar (pour The Blind Side), ‘Miss Detective’ trouve ici le meilleur rôle de toute sa carrière et pourrait bien décrocher une seconde statuette. Suite à un passé traumatisant, Ryan n’est plus que l’ombre d’elle même. Une coquille vide dans laquelle elle se réfugie et refoule ses émotions. L'actrice nous offre une performance à fleur de peau, sincère et touchante, qui ne peut laisser indifférent. A ses côtés, George Clooney, qui joue les compagnons de fortune, parvient difficilement à nous faire oublier son statut de méga star. Là où Sandra Bullock s'efface littéralement derrière son personnage, on ne voit que Clooney en costume de cosmonaute. Néanmoins, il se glisse sans peine dans la peau de ce père protecteur au sourire ultra-bright. Sans trop en dévoiler, le scénario est particulièrement riche en rebondissements et fait la part belle aux poussées d'adrénaline pour nous tenir en haleine jusqu'au dénouement. Le sort s'acharne littéralement sur la pauvre Ryan qui se sort in-extremis d'un danger mortel pour tomber dans un autre. Grace à l'extraordinaire travail d'immersion du réalisateur, certaines scènes sont d'une tension viscérale à vous couper le souffle. Mais la brillance du script repose sur le fait que Ryan est un personnage féminin. En mettant l'accent sur sa vulnérabilité, le film nous permet d'éprouver pour elle un vrai sentiment d'empathie. Mais chaque épreuve surmontée est une victoire en elle même, où l'on se rend compte que c'est quand on est poussé dans nos derniers retranchements que l'on révèle tout notre potentiel. En ce sens, Gravity est une magnifique leçon d'optimisme et de courage face à l'adversité. On apprécie alors la double lecture symbolique du film quand il se mue subtilement en une ode poétique sur l'évolution - où la survie est aussi une renaissance. A ce sujet, certains plans hypnotiques, dignes du 2001 de Kubrick, resteront gravés dans votre mémoire bien après le générique de fin. Gravity est sans hésiter l'un des meilleurs films de 2013. On peut déjà prévoir une nomination dans les catégories Meilleur Réalisateur, Meilleure Actrice, Meilleur Son, Meilleurs Effets Visuels, Meilleure Musique et Meilleure Photographie. Gravity est une expérience sensorielle inédite, tour à tour épique et intime, intense et réfléchie, spectaculaire et épurée. Un film catastrophe haletant, doublé d'une extraordinaire aventure humaine. Sandra Bullock porte à elle seule le film sur ses épaules et incarne une femme à la fois forte et fragile, qui risque bien de devenir une icône du genre, aux côtés de Ripley de la saga Alien. On ressort du film comme il se doit - en apesanteur. Note : ****