mardi 29 octobre 2013

Interstate 60

Neal, un jeune homme inquiet pour son avenir, entreprend un voyage sur une route qui n'existe sur aucune carte. Robert Frost est un poète américain né dans les années 1870. L’un de ses plus fameux poèmes (« The Road Not Taken » se termine ainsi: Two roads diverged in a wood, and I_ I took the one less traveled by, And that has made all the difference. (Pour les non anglophones, cela donne) Deux routes divergeaient dans un bois, et moi, J'ai pris celle par laquelle on voyage le moins souvent, Et c'est cela qui a tout changé. D’un point de vue empirique, Frost résume ainsi l’essence même de la vie. La vie n’est ni plus ni moins que la somme de toutes nos expériences vécues, positives ou négatives. Ce sont bien nos propres expériences qui font de chacun de nous des êtres uniques, et qui nous différencient de notre prochain - tant au niveau de nos actes, que de notre mode de pensée. Et comme Frost nous dit, c’est parfois quand on choisit le chemin le moins emprunté que la route est la plus belle. Ces vers sont souvent emblématiques de l’esprit aventureux et idéaliste qui caractérise l’Amérique des années 60. Tous les Easy Rider et autres grands road movies de l’époque basés sur la contre-culture reflètent une volonté d’émancipation du carcan capitaliste – où le système décide pour vous - et arborent avec fierté leur admiration des grands espaces. Et de la route. Cette route sans fin, à la destination incertaine, symbole de liberté et d’éternité, métaphore de la vie, où chaque rencontre peut être l’objet du destin. Si un jour vous souhaitez visiter les Etats Unis, ne cherchez pas l’Interstate 60 sur la carte, elle n’existe pas. C’est pourtant sur cette route que Neal débute son périple à la recherche de réponses à son existence, et accessoirement à la recherche de la fille de ses rêves. C'est vrai que quand on y pense, quoi de plus évident que de s’engager sur une voie imaginaire quand on entame une quête intérieure? Si le film se déroule comme un road movie, c’est bien d’un voyage de l’esprit dont il est question. Chaque protagoniste que Neal croise sur son chemin incarne une vertu ou une faiblesse morale que Neal devra apprendre à reconnaître pour son propre salut. L’intrigue du film repose sur le thème de l'inéluctabilité et de nos choix de parcours. Chaque nouvelle rencontre est l’occasion d’aborder de nouvelles questions existentielles sur le sens du destin. Chaque question apporte son flot de réponses, qui entraînent à leur tour une discussion sur leurs conséquences. Mais loin d’être le discours pompeux et ronflant que l'on pourrait craindre, Interstate 60 est un petit bijou de réflexion philosophique sur fond de comédie délicieuse. A la manière de Lewis Carrol avec Alice au Pays des Merveilles, le film nous plonge dans un univers volontairement décalé et surréaliste où chaque rencontre rivalise d’absurdité (mention spéciale à la ville peuplée d’avocats où tout le monde se poursuit en justice). Avant tout, le film pose des questions pertinentes auxquelles nous pouvons tous être confrontés un jour (dois je poursuivre mon rêve en dépit des conséquences?, dois je suivre la voie tracée par mes parents?, dois-je faire confiance à mon instinct ou à ma raison?...), mais les réponses qu'il nous donne - aussi fascinantes soient elles - sont tournées en dérision de manière complètement farfelue. Même si le principe masque souvent la réalité tragique et grinçante des situations, on se laisse séduire par le ton léger et optimiste du film, impatients de découvrir la prochaine leçon de conduite qui se cache au tournant. Au cours de son périple, Neal sera donc sujet à de nombreuses introspections, dont nous-mêmes, nous ressortons grandi. Dans les mains d’un conducteur du dimanche qui enchaîne les leçons de morale bienfaisante comme on passe les vitesses, le film aurait vite fini en queue de poisson. Fort heureusement, le réalisateur et scénariste Gob Gale est un pilote hors pair. Il démarre son film sur les chapeaux de roue, conduit pied au plancher, tout en évitant les nids de poule. Mais sait prendre le temps de s’arrêter pour profiter du paysage. Arrêtons là les jeux de mots automobiles douteux pour s’attarder sur les qualités de notre chauffeur. En voiture, Simone ! Bob Gale n'est rien de moins que le scénariste de Retour vers le Futur, l’un des films les plus adorés de l'histoire du cinéma. Retour vers le futur est un de ces rares films à effets spéciaux où l’imagerie visuelle ne met pas en défaut la qualité de l’écriture. Autant que la virtuosité technique, ce sont bien les personnages et les dialogues inoubliables qui font de ce film un chef d’œuvre intemporel. Si le succès commercial des aventures de Marty McFly n’est pas à démontrer, il est surprenant de voir que Interstate 60 est sorti directement en DVD, dans le plus pur anonymat. C'est peut être du au fait qu’il s’agit du premier long métrage réalisé par Gale lui-même, mais le film n’a rien à envier aux véritables sorties en salle. On voit que passer du temps aux cotés de Zemeckis (le réalisateur oscarisé de Retour vers le Futur, Forrest Gump ou Qui veut la peau de Roger Rabbit ?) a été bénéfique. Le film est sorti en 2002, mais Interstate 60 baigne dans une atmosphère à la fois ludique et insouciante propre aux années 80, et qui rappelle les débuts de Zemeckis. Le film brille également par son casting impeccable. Neal est incarné par un James Marsden (Cyclope dans X-Men) aussi crédible qu’attachant, à mi chemin entre Marty McFly et Ferris Bueller. Ses compagnons de route sont tous interprétés avec goût et justesse par une flopée de comédiens heureux d’être là – et de donner un coup de main à leur ami Gale. On retrouve avec plaisir les acteurs favoris du duo Gale/Zemeckis : Michael J. Fox et Christopher Lloyd, bien sûr, mais aussi un Kurt Russel à contre emploi, particulièrement inquiétant quand il vante les mérites de la dépendance des drogues dures sur le contrôle de la délinquance juvénile. On appréciera surtout les talents de caméléon de Gary Oldman, qui disparaît comme toujours derrière son personnage. Ici, un génie exauceur de souhaits, excentrique et malicieux – d’apparence inoffensif mais qui se délecte à manipuler ses victimes. Mais la palme revient à Chris Cooper, philosophe paranoïaque aussi imprévisible que dangereux, dont le passe temps favori se résume à relever les mensonges des médias – quand il ne menace pas de se faire sauter à la dynamite lorsqu’on refuse de lui obéir… Interstate 60 est une quête spirituelle déguisée en road movie, menée pied au plancher par un as du volant. Scénario soigné et inventif, personnages charmants, casting de rêve… il est triste de savoir qu’Interstate 60 n’a pu bénéficier d’une sortie en salles. Le film est une ode à la pensée créative et à l'individualisme et mérite amplement d'être découvert. Si des titres tels que « Stranger than Fiction », « Big Fish » et « Le Guerrier Pacifique » vous parlent, alors n'hésitez pas une seconde à choisir l'Interstate 60 pour votre prochaine destination. Note : ***

samedi 19 octobre 2013

Amours Chiennes (Amores Perros)

Mexico. Octavio est un adolescent qui décide de s’enfuir avec la femme de son frère, Daniel est un quadragénaire qui quitte sa femme et ses enfants pour aller vivre avec un top model. El Chivo est un ex-guérillero communiste devenu tueur à gages. Un tragique accident de voiture va brutalement les rassembler. Sorti en 2000, Amours Chiennes est le premier long métrage du réalisateur mexicain Alejandro Gonzales Inarritu. Il regroupe les histoires de plusieurs personnages de milieux et de classes radicalement différentes, dont les destinés se croisent suite à un événement majeur – ici, un brutal accident de voiture. Le film est donc partagé en trois parties distinctes. On est d’abord plongé dans l’univers cruel et dérangeant des criminels de bas quartiers, qui survivent à coup de braquages et de combats illégaux de chiens. On assiste ensuite à une farce grotesque, où la relation d’un couple de la haute société vole en éclat en même temps que le parquet de leur appartement. Enfin, on suit le quotidien sordide d’un vieil ivrogne mélancolique, engagé pour abattre le rival d’un homme d’affaire. A travers ces trois histoires, Inarritu dépeint des relations basées sur la tromperie, le mensonge et l’orgueil. Chaque personnage incarne ce qu’il y a de pire chez l’être humain. Chez le cinéaste, la morale bienfaisante ne triomphe jamais et les liens du sang ne protègent pas du meurtre. Il est même mention de « Abel et Cain » pour décrire une relation fratricide dans la dernière partie du film. Les protagonistes sont plus méprisables les uns que les autres et il est difficile de s’attacher à eux. En revanche, les acteurs offrent tous des performances mémorables. On retiendra notamment Gael Garcia Bernal, pour qui le film ouvrira les portes d’une carrière internationale. Amours Chiennes surprend avant tout par la qualité esthétique de sa réalisation. Le film tout entier baigne dans un univers froid et poisseux, aux couleurs délavées. Inarritu privilégie une approche réaliste, parfois documentaire, qui nous met face à une violence crue, et symbolise le caractère instable et perturbé de personnages sans espoir de rédemption. La combinaison de cadrages extrêmes, de plans rapprochés et d’un montage frénétique instaurent un climat claustrophobique, qui met volontairement mal à l’aise. Visuellement, le film est parfaitement abouti. Mais le plus surprenant, c’est la maitrise de la narration. Pour un premier long métrage, Inarritu fait preuve d’une grande habilité pour établir les relations entre ses différents protagonistes, tout en nous maintenant constamment en haleine. On pourra cependant noter que le succès du film repose sur les références à d’autres réalisateurs de renoms, dont Inarritu ne cache pas l’influence. Tarantino tout d’abord. La manière dont les personnages se croisent et s’influencent et les cartons en noir et blanc qui séparent les chapitres rappellent immédiatement Pulp Fiction. De plus, la scène d’introduction est directement tirée de Reservoir Dogs. Ensuite, les connaisseurs apprécieront l’utilisation d’une bande sonore funky et rock’ n’ roll qui fait écho aux débuts de Guy Ritchie – chez qui les petites frappes se retrouvent toujours dans des situations invraisemblables. Sans oublier un portrait du tueur solitaire amateur de lait similaire au Leon de Luc Besson. La différence c’est que Amours Chiennes est totalement exempt de second degré, si friand aux trois réalisateurs sus-cités. Le titre du film, Amores Perros, fait référence à l’affection que chaque personnage porte à son animal de compagnie. Mais il peut aussi se traduire par « Chienne de Vie ». En ce sens, sa froideur assumée ainsi que le pessimisme des situations rapprochent davantage le film du travail d’Aronofsky sur Requiem for a Dream - une référence en matière d’univers malsain et de personnages sans espoir de lendemain. Amours Chiennes est considéré comme le premier opus d’une trilogie sur la mort et la perte d’humanité, qui regroupe aussi 21 Grammes et Babel, tous mis en scènes par Inarritu. Pour un premier film, Amours Chiennes est l’œuvre d’un virtuose de la caméra qui méritera une nomination aux Oscars comme Meilleur Film Etranger. Mais c’est surtout une fable tragique et sordide, un drame réaliste au style fiévreux, peuplé de personnages meurtris. La vie est peut-être une chienne, mais l’homme reste un loup pour l’homme. Note : ***

lundi 7 octobre 2013

Le Grand Silence

En hiver 1898, dans les montagnes de l'Utah, des paysans sont devenus hors-la-loi pour survivre à la famine. Des chasseurs de primes, dirigés par le cruel Tigrero, sont payés pour les abattre. Pauline, dont le mari a été tué par Tigrero, engage à son tour un pistorlero muet pour la venger. Quand on parle de « western spaghetti », un nom apparaît sur toutes les lèvres: Sergio Leone. En effet, le nom du cinéaste est passé dans la culture populaire comme un synonyme du genre. On connait tous la trilogie des Dollars, films d'action sarcastiques et violents, dont les intenses duels millimétrés et les compositions héroïques d'Ennio Morricone sont à jamais gravés dans nos mémoires de cinéphiles. Néanmoins, à la même époque et encore aujourd'hui, le succès de Leone a souvent éclipsé d'autres cinéastes italiens qui ont également marqué le genre au fer rouge. C'est le cas de Sergio Corbucci, réalisateur d'une soixante de films, dont la moitié figurant dans le domaine du western. Ce qui est intéressant avec Corbucci, c'est la variété de ses longs métrages. Si Leone est un cinéaste mythique, il n'aura pas tourné plus d'une dizaine de films et la plupart respectent les codes du western spaghetti – qu'il a lui même inventé: angles de caméras ouverts sur des paysages imposants, cadrages expressifs et très serrés, duels rythmés par la musique de Morricone... Au contraire, Corbucci réinvente son style en s'appuyant tour à tour sur l'ultra-violence (Jango) ou la comédie parodique (Le blanc, le Jaune et le Noir). Dans cette optique, voyons où se place Le Grand Silence, western révisionniste par excellence. Le film est sorti en 1968, la même année que Leone tourne Il était une fois dans l'Ouest, drame intimiste et épique à la fois, à la mise en scène exacerbée, qui est souvent reconnu comme le chant du cygne du western spaghetti. L'esthétique établie par Leone dans ses premières œuvres y est respectée à la lettre. Comment souvent, violence, argent et sexe sont les moteurs d'un scénario qui repose sur une classique histoire de vengeance. Mais cette fois, le ton est moins à l'ironie, plus mélancolique. Comme si le réalisateur jetait un dernier regard sur un genre usé, condamné à disparaître. Effectivement, dès le début des années 70, le western spaghetti s'essouffle et adopte soit une forme plus légère (les pochades burlesques de Terence Hill dans Mon Nom est Personne, 1973), ou plus sombre et réaliste (Mr McCabe and Mrs Miller, 1971). Nul doute que Le Grand Silence appartient à cette seconde catégorie. Le Grand Silence est un film fascinant car il reprend les bases scénaristiques du western spaghetti pour les déconstruire progressivement. Dans le genre du western spaghetti, le héros (ou anti-héros) est un homme brutal et mystérieux, qui parle peu et tire vite. Chez Leone, Clint Eastwood - l'Homme sans nom - se contente souvent de mâchouiller son cigare avant de dégainer. Dans le Grand Silence, le personnage principal est carrément surnommé "Silence" à cause du son mutisme. Difficile de faire plus mystérieux... Mais au cours d'un flash-back sanglant, on apprend qu'il s'est fait trancher les cordes vocales et porte toujours la cicatrice sur son coup. On voit très vite que le réalisateur cherche à établir une atmosphère qui nous est familière (avec les personnages habituels et des situations connues) avant de détourner les codes du genre pour nous mettre mal à l'aise et accentuer la dimension tragique de ses personnages. Ainsi, bien que Morricone signe lui même la musique du film, elle apporte une dimension de tristesse et de tourment, à la fois lyrique et menaçante. Les protagonistes, eux, ont une psychologie bien plus complexe qu'à l'accoutumée et le second degré, souvent utilisé pour anesthésier la violence lors des tueries, brille par son absence. Dans la même veine, contrairement aux westerns de Leone censés se dérouler dans les étendues désertiques et brûlantes du Grand Ouest, l'histoire du Grand Silence prend place dans les montagnes enneigées, en plein cœur de l'hiver. Dès le départ, Corbucci nous plonge dans un décor déprimant et oppressif qui se détache des codes esthétiques habituels. Ici, paysage n'a pas pour but de glorifier un pistolero galopant à l'horizon sur une bande son épique. La neige incessante et traître reflète au contraire l'affliction des personnages et la désolation des lieux. Cette fois, on ne cherche pas à célébrer les aventures des chercheurs de trésors du Bon, de la Brute et du Truand. Et les duels ne se règlent pas non plus dans la rue, sous un soleil implacable et le regard des badauds. Non, ici on doit manger son cheval pour ne pas mourir de faim dans la montagne, et se faire abattre pour un rien est monnaie courante. La loi ne triomphe pas toujours et le mythe du héros qui tire plus vite que son ombre n'a pas sa place dans l'univers du Grand Silence. Les personnages sont tous mémorables mais le chasseur de primes machiavélique incarné par l'acteur allemand Klaus Kinski peut être considéré à juste titre comme l'un des plus grands méchants de l'histoire du cinéma - froid, méthodique et sans pitié, mais avec une prose d'érudit et un humour noir bien à lui. Il est fort à parier qu'il a servi d'inspiration à Christopher Waltz - Allemand, lui aussi - pour son interprétation d'un autre chasseur de primes dans le Django de Tarantino (dont le titre fait bien entendu référence à un autre film de Corbucci). Kinski, l'acteur fétiche de Werner Herzog, est aussi connu pour son jeu d'acteur dérangé que pour ses colères ravageuses sur les plateaux de tournage. Pas étonnant donc que son personnage soit surnommé Loco (« Fou » en Espagnol). D'un point de vue historique, le Grand Silence est un western révisionniste. La mise en scène réaliste de Corbucci, associée à un environnement sinistre et opprimant, aura pavé la route à une nouvelle vague de cinéastes inspirés par cette approche moins manichéenne, qui culminera avec la consécration de Clint Eastwood (Oscar du meilleur réalisateur pour Impitoyable en 1992). Mais c'est aussi un des meilleurs westerns jamais réalisés, d'une brutalité saisissante et d'une intensité dramatique rarement égalée. Ah, et la fin va vous faire l'effet d'un coup de feu dans l'estomac. Voilà, c'est dit. Note : ****

dimanche 6 octobre 2013

La Dernière Licorne

Au cœur d'une forêt enchantée vit Amalthea, une licorne solitaire. Un jour, elle entend deux chasseurs déplorer la disparition des licornes. Serait-elle vraiment la dernière de son espèce? En quête de réponse, elle part à la recherche de ses semblables, accompagnée par un jeune magicien maladroit. Si vous travailliez dans le milieu de l'animation aux USA dans les années 80 mais que vous ne faisiez pas partie des studios Disney, il est peu probable que vos films aient eu du succès au box office. C'est la triste vérité pour La Dernière Licorne, une véritable gemme développée par des passionnés, mais pour qui intégrité n'a pas rimé avec succès financier. Ce qui frappe rapidement en regardant le film, c'est qu'en dépit de moyens limités, l'animation est soignée et le design des personnages, particulièrement intéressant. D'un coté, les courbes délicates d'Amalthea et la blancheur immaculée de son abondante crinière symbolisent la beauté virginale de l'innocence. Son caractère majestueux s'oppose alors radicalement au physique plus rustre et peu avantageux des personnages humains, qui n'est pas sans rappeler le travail de Ralph Bakshi sur Le Seigneur des Anneaux. Il est aussi important de signaler que si La Dernière Licorne est un film américain, le studio responsable de l'animation des personnages est en réalité japonais. Et c'est ce même groupe d'artistes talentueux qui donnera par la suite naissance aux légendaires studios Ghibli. Ce qui en dit long sur la qualité esthétique du film. Cependant, ce serait faire fausse route que de dénigrer le travail effectué par l'équipe anglophone, sur l'aspect sonore cette fois. Le casting vocal, par exemple, est remarquable. Mia Farrow apporte une douceur et une naïveté touchante à la licorne, alors qu'une autre comédienne aurait pu rendre le personnage d'une mièvrerie affligeante. Christopher Lee prête sa voix suave et caverneuse au méchant de l'histoire, qui cherche à capturer toutes les licornes. Pourchassant la jeune et frêle ingénue dans la tour de son château, au bord d'une falaise, il apparaît comme le parfait vilain de la littérature gothique. Rien d'étonnant quand on sait que l'acteur demeure l'une des plus célèbres incarnations de Dracula au cinéma. La musique, plus mélancolique qu’héroïque, reflète à la fois le monde déprimant dans lequel évoluent les protagonistes et la solitude de la licorne. En V.O, le morceau titre, interprété par le groupe America, est une ballade envoûtante qui n'aurait pas fait défaut dans un concert de Power Metal. Si vous aimez le genre, il y a de fortes chances que vous l'écoutiez en boucle après le film. Suivant le scénario de Peter S. Beagle, d'après son propre livre, La Dernière Licorne est un film pour enfants, mais pas un film infantile. En plus d'une légère nudité et de quelques scènes terrifiantes pour les plus jeunes, ce qui différencie le film des dessins animés Disney sortis à la même époque, (Taram et le Chaudron Magique, qui évolue dans un univers semblable), c'est sa maturité assumée. L'humour est certes présent (surtout chez l'extravagance de certains seconds rôles) mais n'éclipse jamais l'importance du scénario. Les situations sont d'ailleurs imprévisibles et les réactions des personnages, indéniablement adultes. La mise en scène épurée nous permet justement d'apprécier le bon-sens des dialogues, qui prennent les enfants pour des êtres intelligents, et non des vaches à lait dénuées de réflexion. La Dernière Licorne est un bijou oublié par le temps. Une ode à la poésie et à l'imagination. Une fable sur la perte de l'innocence. Au même titre que Dark Crystal, l'Histoire sans Fin ou encore Le Secret de Nihm, c'est un film que l'on se doit de montrer à nos enfants pour qu'ils se rendent compte que tous les gimmicks 3D des dessins animés d'aujourd'hui ne remplaceront jamais une belle histoire, mise en scène avec un travail d'orfèvre. Note : ***

vendredi 4 octobre 2013

Runaway Train

Deux évadés d'un pénitencier s'enfuient sur un train dont le conducteur est tombé de la locomotive. Vous vous souvenez peut être d'Unstoppable, sorti en 2010; l'histoire d'un train fou sans conducteur qui menaçait de dérailler au beau milieu d'une ville. Unstoppable est le dernier film de Tony Scott, un réalisateur connu pour ses films d'action violents et spectaculaires. Le film avait reçu de bonnes critiques de la part de la presse pour son rythme frénétique et le charisme des acteurs. Personnellement, je pense que le produit fini ne dépasse jamais la barre du simple divertissement et ne vaut que pour sa mise en scène déchaînée et ses effets sonores assourdissants (le film sera nominé aux Oscars du meilleur son). Un film d'action standard, qui ressemble à tant d'autres, dont le seul intérêt est de tester la puissance des enceintes de votre salon. Si je mentionne Unstoppable, c'est parce qu'il a tout du remake non avoué de Runaway Train, sorti 25 ans plus tôt - et meilleur en tous points. Le grand avantage du film est d'avoir été fait avant la grande époque des images de synthèse et des caméras numériques. Le cinéaste Andrey Konchalovsky choisit ses plans avec intelligence au lieu de les multiplier sans fin, le train paraît réellement foncer à une vitesse folle et les cascades donnent des sueurs froides. Le film instaure donc une tension crue dès le départ sans l'aide factice d'une caméra nauséeuse et d'images saccadées. De même, alors que le film de Tony Scott se noyait dans une mer de couleurs saturées si chères au Hollywood contemporain, Runaway Train se déroule en plein cœur de l'Alaska et baigne dans un monochrome glacé qui souligne la dureté de l'environnement. Enfin, le montage soigné (nominé aux Oscars) et la musique fataliste de Trevor Jones renforcent de manière élégante le pessimisme des situations. Les héros d'Unstoppable étaient de simples types sans histoire qui faisaient leur boulot. Au contraire, Runaway Train met en scène deux évadés de prison, aussi dangereux que dépourvus de charme. Avoir des antihéros patibulaires en guise de personnages principaux dans un film catastrophe est déjà assez rare pour être signalé, mais surtout cela rend les situations bien plus imprévisibles, car on ne peut jamais savoir si les deux criminels vont se venir en aide ou au contraire se poignarder mutuellement. Jon Voight joue un criminel menaçant et nihiliste, à la détermination sans faille. Face à lui, Eric Roberts, campe un détenu débordant de confiance en lui mais un brin simplet. Les deux acteurs se renvoient la balle avec une assurance complice, mais sans jamais tomber dans l'aisance du second degré propre au buddy movie. Ils seront tous deux nominés aux Oscars pour leur performance à fleur de peau. A leurs cotés, Rebecca de Mornay nous rappelle qu'en dehors de son joli minois, elle demeure l'une des comédiennes les plus talentueuses et les plus injustement méconnues du cinéma américain. Le casting est excellent et même les plus petits rôles sont mémorables. Mais le mérite revient surtout à la qualité de l'écriture et la véracité des interactions entre les personnages. Malgré son synopsis assez basique, Runaway Train n'a rien du film d'action stéréotypé auquel on pourrait s'attendre. L'histoire repose sur un scénario original écrit par Akira Kurosawa, le légendaire réalisateur japonais, reconnu pour ses œuvres à la fois profondément pessimistes et humanistes. On reconnait rapidement la patte du maître, autant dans la crédibilité des personnages que dans la portée philosophique des dialogues. La lutte incessante contre le vent et le froid (l'action se déroule en plein cœur de la toundra) et la critique des technologies modernes qui échappent à l'emprise de l'homme rappellent d'ailleurs souvent les thèmes abordés dans Dersou Ouzala (Oscar Meilleur Film Etranger en 1975). Il est vraiment pénible de voir à quel point le cinéma d'action moderne continue sa plongée dans la médiocrité, à toujours se reposer sur des effets de style futiles pour combler la vacuité de scénarios écrits sur des bouts de serviette. Vous souhaitez prendre du recul vis à vis de la majorité des blockbusters récents qui nous infligent des scènes d'action invraisemblables et des répliques sans inventivité servies par les belles gueules de service? Dans ce cas, découvrez Runaway Train et appréciez le jeu d'acteurs qui n'ont pas peur de salir leur image, des scènes d'actions dont l'aspect spectaculaire repose avant tout sur leur réalisme, et des dialogues ciselés mais qui prônent la réflexion. Le tout dans une atmosphère oppressante et dépressive où le happy end des familles n'est pas forcément de rigueur. Note : ***