samedi 7 mars 2009

Gran Torino


Walt Kowalski, vétéran de la guerre de Corée, est un homme inflexible, amer et pétri de préjugés. Il vit seul dans un quartier peuplé d'immigrés. Un jour, sous la pression d'un gang, un ado hmong tente de lui voler sa précieuse Ford Gran torino... Walt fait face à la bande, et devient malgré lui le héros du quartier. Sue, la soeur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des "travaux d'intérêt général" au profit du voisinage. c'est le début d'une amitié inattendue, qui changera le cours de leur vie.

Aux côtés de Sean Penn et Tommy Lee Jones, Clint Eastwood reste l'un des plus grands acteurs à ne pas avoir souffert de son changement de place vis à vis de la caméra.
Assis à la place du metteur en scène depuis un certain temps déjà, il nous a pondu chef d'oeuvre sur chef d'oeuvre et a déjà raflé une belle brouette d'oscars.
Depuis longtemps, l'homme n'a plus rien à prouver à personne en temps qu'acteur comme en tant que réalisateur.

En gagnant en maturité avec l'âge, il parvient pourtant à nous surprendre à chaque nouveau film et c'est, au même titre que pour Tim Burton ou Spielberg, que l'on attend chaque fois son prochain succès.
Et « Gran Torino » et le dernier en date.

Si la carrière d'acteur de Clint Eastwood est avant tout basée sur les grosses brutes, les policiers impitoyables et les cow boys avares en paroles mais pas en plomb, c'est toujours un étonnement de le voir choisir, en tant que réalisateur, des scénarios aux antipodes de celle-ci.

Eastwood se consacre désormais plus aux liens familiaux et aux destins brisés qu'à la castagne.
S'il fait un film c'est avant tout pour raconter une histoire qui le passionne et lui tient à coeur.

Coeur. Si l'on devait retenir quelque chose de ses films, c'est qu'ils sont faits avec le coeur.

Si « Gran Torino » traite du sujet resassé du vieux grincheux qui reprend goût à la vie en prenant en charge l'éducation d'un jeune garçon, on est loin d'un simple mélodrame famillal.
On y parle de racisme, de guerre des gangs, de l'impossibilité de s'adapter au milieu social...
Le sujet est triste, grave, voire sérieux et pourtant...

Et pourtant Eastwood ne sombre jamais dans les larmoiements faciles et ne cherche pas à ce qu'on s'appitoie sur le sort des personnages.
En aucun cas le film ne dégouline de bons sentiments.
Avec talent et habileté, il évite les clichés, comme les stéréotypes.
Pour pinailler, on peut dire qu'Eastwood force un peu trop sur les violons (lacrymaux) aux moments critiques mais c'est vraiment une broutille comparé aux nombreuses qualités du film.

Souvent on sent pointer les grosses ficelles du scénario mais il n'en est rien, le film nous émerveille constamment et parvient sans peine à nous prendre au dépourvu.

A la lourdeur et au pessimisme, Eastwood préfère afficher sans honte une légereté bienvenue.
La mise en scène se fait subtile sans pour autant perdre de son efficacité.
Sans emphase, Eastwood se contente de filmer des scènes de la vie quotidienne de manière réaliste en laissant la caméra se concentrer sur le jeu des acteurs.
Et quels acteurs!

Le casting est sans fausse note et les performances des jeunes comédiens sont exemplaires (surtout la jeune asiatique) mais « Gran Torino » c'est avant tout l'occasion pour Clint Eastwood de repasser devant la caméra.

Si depuis quelques temps Eastwood nous sort un nouveau film chaque année, ça faisait un bon moment qu'on ne l'avait plus vu à l'écran.
Dans « Gran Torino », il ramène donc enfin sa gueule cassée et sa voix rocailleuse et, une chose est sûre, l'âge ne lui a rien fait perdre de son charme!


Il y joue Walt Kowalski, un polonais veuf, vétéran de la guerre de Corée.
A première vue le personnage est aimable comme une porte de prison.
Il déteste tout le monde : les noirs, les jaunes, les jeunes, les vieux et même sa propre famille.
Sa compagnie il la trouve chez un coiffeur italien qu'il s'amuse à insulter dans les règles de l'art, ses vieux potes de bar à qui il raconte des blagues racistes, son chien fidèle et sa voiture, la Gran Torino du titre, qui si elle n'a que peu de place à l'écran, deviendra rapidement le lien central de l'histoire.

Dans la peau de Kowalski, Eastwood pioche dans son registre « sale gueule antipathique » et donne tout ce qu'il a sans sourciller.
Non seulement l'acteur bouffe littéralement l'écran de ses yeux, à la fois tendres et perçants, mais il crache chaque mot à la face des gens en serrant constamment des dents comme s'il mâchait des cailloux...

Déjà en peinture, il n'est pas beau à voir mais avec le son c'est pire : sans gêne aucune, il manie les sarcasmes comme une seconde nature et jure comme un charretier à qui veut l'entendre, ponctuant alègrement ses phrases de politesses telles que « niak », « bougnoul » « fâce de citron » ou encore « sale rital de merde ». Charmant.

Définitivement le genre de type avec qui on rêverait de bavarder...

Et pourtant.
Et pourtant, derrière ce visage buriné au marteau piqueur et cette bouche baveuse qui grogne se cache avant tout un homme. Un homme meurtri qui a vécu les horreurs de la guerre, qui souffre de la perte de sa femme et de sa solitude et qui se rend compte qu'il n'a jamais su prendre soin de sa famille.

Et c'est donc en se liant d'amitié avec ceux qu'il croyait être ses pires ennemis, qu'il va redonner un sens à sa vie.
Son front se déride, son sourire s'agrandit peu à peu et on découvre que sous ses airs de vieille armoire à glace normande rouillée, le Walt il a un bon fond.

Et là je me permets de faire un rapprochement avec le récent « Yes Man » car dans les deux cas, le héros reprend gôut à la vie en osant dire « oui ».
Dans « Yes Man », c'est assez explicite alors que dans "Gran Torino" ,on voit que petit à petit Walt réapprend à s'ouvrir aux autres en osant aller vers eux.

Mais là où le premier transformait un sujet en or en...plomb c'est un peu exagéré vu que le film a quand même quelques bons moments mais...en cuivre, tiens : un métal d'apparence assez joli, mais creux et qui rouille rapidement (comme l'humour du film, vieillot et réchauffé...), « Gran Torino », lui, pour le coup change le plomb (le sujet de départ) en or massif.

Et ce, grâce à un humour à la fois sarcastique et décapant.
Dans « Yes Man » les situations sont parfois drôles en elles mêmes mais les dialogues sont souvent affligeants de médiocrité entraînant une ambiance douce-amère alors qu'on devrait rire à pleines dents.

Ici Eastwood nous met à l'aise dès les premières minutes.
A cet enterrement qui se veut solemnel, une jeune fille joue à la console, les hommes parlent héritage et le reste de la foule fait semblant d'écouter le sermon du prêtre, attendant le buffet mortuaire pour se remplir la panse aux frais de la princesse...
Rapidement, on apprécie le regard franc, concret et surtout lucide qu' Eastwood porte sur notre société et il ne s'en prive pas pour le montrer.

Et pourtant.
Et pourtant, il ne cède jamais à la facilité, ne sort jamais l'artillerie lourde comme le film avec Jim Carrey. Cette fois, les dialogues sont finement écrits (les injures font d'ailleurs partie intégrale du plaisir communicatif du film) ), les personnages sont loin d'êtres de simples caricatures et surtout les situations portent en elles un comique indéniable.


Difficile de résiter aux frasques du Schtroumph grognon en prise avec toutes ces femmes qui viennent déposer de la nourriture sur son porche avant qu'il ne décide de les accepter ; parce que la nourriture asiatique ça plait aussi aux vieux ronchons.


Là où « Yes Man » parvenait à nous arracher un sourire de temps en temps, toute la première partie de « Gran Torino »nous donne l'occasion de nous esclaffer sans retenue.
La mise en scène légère du film et le langage ordurier, mais jamais gratuit, font souffler un vent de fraicheur irrésistible sur le cinéma américain souvent trop aseptisé (« Yes Man », toujours en ligne de mire).
Malgré toutes les apparences, « Gran Torino » est extrêmement drôle!

Alors, « Gran Torino » : « meilleure comédie de ce début d'année »?

Non, car comme la plupart des films d'Eastwood, « Gran Torino » subit lui aussi le double effet kiss cool : deux pour le prix d'un, comédie ET drame.
Alors qu'on est totalement épris des personnages et de leurs relations peu conventionnelles, on a oublié la trame principale qui nous ramène brutalement à la « réalité » comme l'a fait « Million Dollar Baby » en son temps...

Si la violence est rarement présente, elle est pourtant là, cachée en filigrane, n'attendant que le moment propice pour se dévoiler.

Et c'est là qu'on attend qu'Eastwood et son physique de bulldozer arme sa pétoire avant d'enfourcher la Gran Torino pour faire régner la justice dans l'Ouest de sa petite bourgade.
Et pourtant. Et pourtant...

Jusqu'au bout, on se laisse emporter par le film, qui ne se révèlera jamais comme on l'attendait.

Et alors que défile le générique de fin, on admire l'intelligence du réalisateur pour avoir remplacé l'écran noir conventionnel par ce plan fixe d'un bord de mer sans vague et d'un ciel, sans nuage, rempli d'espoir.
On laisse alors ce frisson, du à la chanson titre, nous envahir et on se laisse submerger par ce sentiment irrépressible de mélancolie en se remémorant les plus beaux passages du film...

« Gran Torino » est un film magnifique à tout point de vue.
Eastwood est aussi à l'aise derrière que devant la caméra dont il électrise le champ de sa présence.
Un langage cru et des émotions vraies. L'oeuvre d'un humaniste confirmé.
Du grand cinéma.

Note : ****

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