dimanche 22 août 2010

L'Ombre du Vampire




Dans les années 1920, le réalisateur allemand Friedrich Murnau entreprend de tourner un film de vampires inspiré du « Dracula » de Bram Stoker. Il fait appel à Max Schreck pour tenir le rôle principal mais les méthodes de travail du comédien déroutent de plus en plus l'équipe du film...




Dans la culture populaire contemporaine, le vampire reste une figure récurrente et incontournable du film d'horreur, et ce depuis la publication du célèbre « Dracula » de Bram Stoker. Au cinéma, on ne compte plus les adaptations du roman, qui ont su, à travers les différentes approches du scénario et le développement des moyens techniques, faire perdurer le mythe et donner à Dracula ses titres de noblesse pour de multiples générations. Et malgré l'engouement pour les vampire next-gen qui brillent au soleil, aujourd'hui encore, Dracula demeure certainement le vampire le plus connu de l'histoire du 7ème art.

Pourtant, le premier vampire ayant vu le jour sur les écrans ne s'appelait pas Dracula mais Orlock. En effet, « Nosferatu », film allemand muet réalisé à la fin des années 20, fut le premier à mettre en scène la célèbre créature. En revanche c'est bien Dracula qui est à l'origine du film puisque « Nosferatu » n'est que l'adaptation non officielle du roman de Stoker : la veuve Stoker refusant de céder les droits du livre, l'équipe du film décida simplement de modifier le nom des personnages. Si cette histoire est bien connue des amateurs, elle ne l'est pas pour autant du grand public et méritait donc d'être signalée. Mais la supercherie tourna court et l'on ordonna que le film soit détruit. Fort heureusement, certaines copies échappèrent au massacre, ce qui permit à « Nosferatu » de faire la carrière remarquable qu'on lui connait. Jeux d'ombres et de lumières prononcés et angoissants, décors distordus et tortueux, ambiance inquiétante et personnages sinistres, le film est un chef d'oeuvre de l'Expressionisme allemand et, pour beaucoup, reste considéré comme le meilleur film de vampire jamais réalisé.

Néanmoins, en dehors de ces considérations purement techniques et artistiques, « Nosferatu » a également marqué les esprits par la présentation de son vampire, interprété alors par Max Schreck. Glabre, émacié, les yeux perçants, les ongles effilés comme des griffes et surtout le corps d'une rigidité surnaturelle, la composition de l'acteur aura fait parler d'elle. Et justement, le bruit court que Schreck était en fait un véritable vampire...

Cette histoire peu banale sert justement de point de départ à « L'Ombre du Vampire », qui raconte le tournage de « Nosferatu » par Murnau. « L'Ombre du Vampire » est un film indépendant et peu connu mais remarquablement réalisé. D'un côté, il décrit avec une précision quasi documentaire les conditions de tournage de l'époque, d'un autre il tend à romancer ce qui aurait pu se passer entre Schreck et l'équipe du film si celui ci avait réellement été un vampire. Le réalisateur E. Elias Penetrez réussit son coup sur les deux tableaux grace à une mise en scène superbe, une intrigue efficace et non dénuée d'humour et un casting fabuleux.

« L'Ombre du Vampire » est sorti en 2000 alors que « Nosferatu » date de 1922. Il est donc évident qu'un fossé technique gigantesque sépare les deux oeuvres. De fait, pour tenter de coller à l'esthétisme de l'époque, le cinéaste aurait pu opter pour un vieux sépia, voire un simple noir et blanc pour tenter de vieillir artificiellement l'image et faire ainsi correspondre visuellement son film et celui dont il raconte le tournage. Mais si les scènes de « Nosferatu » sont bien tournées en noir et blanc, le film ne bénéficie d'aucun effet particulier, ce qui lui donne une proximité inattendue et permet de se plonger plus facilement dans le contexte. De plus, le film n'alterne pas constamment couleur et noir blanc, ce qui aurait pu alourdir la mise en scène, mais au contraire, lorque une séquence est en train d'être tournée, le spectateur « entre » dans la caméra et la couleur disparaît progressivement. Il est alors très agréable de voir certaines scènes mythiques de « Nosferatu » prendre vie sous nos yeux alors que l'on se trouve tourjours sur le plateau de tournage. Une mise en abyme astucieuse et un procédé ingénieux qui évitent tout sentiment de lassitude.

Autre point fort, la sobriété de la mise en scène. Malgré le caractère fantastique de la situation, le film ne sombre jamais dans la démesure que l'on pourrait attendre d'un film d'horreur traditionnel. Si « L'Ombre du Vampire » est souvent violent, il ne cède jamais à la gratuité malsaine du gore. L'horreur est en effet plus psychologique et, sans trop en dévoiler, le réalisateur (Murnau) se révélera bien plus cruel et terrifiant, dans sa folie créatrice démesurée, que le monstre lui même.

Enfin donc, le casting du film est de grande qualité. Murnau est joué ici par John Malkovich qui se révèle très crédible et la hantise finale de son personnage en est d'autant plus dérangeante. A ses côtés, les seconds rôles sont tous très appréciables et l'on retiendra surtout la courte apparition de Cary Elwes. Aussi à l'aise pour la comédie (« Hot Shot! », « Sacré Robin des Bois ») que pour le drame (« Saw »), Elwes joue ici sur les deux registres avec un talent fou; un acteur qui mérite assurément une meilleure reconnaissance publique.

Mais c'est bien évidemment Max Schreck, incarné par un Willem Dafoe habité, qui retiendra l'attention du spectateur. Que ce soit le psychopathe violent de « Sailor et Lula » ou le méchant schyzophrène de « Spiderman », Dafoe est un habitué des rôles de méchants dérangés. Pourtant, il réalise ici une performance hors du commun et son personnage de Max Schreck mérite d'être aussi connue que celle de l'acteur pour « Nosferatu ». Malgré la difficulté physique du rôle (Dafoe y est défiguré, méconnaissable, se déplace de manière erratique et s'encombre d'un accent allemand à couper au couteau), Dafoe ne sombre jamais dans le ridicule et ne surjoue pas. Et bien que le personnage lui même soit un tueur monstrueux et sanguinaire, l'acteur parvient à lui donner un certain charme, et réussit même à ce que le spectateur le prenne en pitié et se rende compte à quel point Schreck souffre de sa condition. Une composition à la fois tragique et effrayante qui lui vaudra une nomination aux Oscars comme meilleur second rôle.



A la fois documentaire d'époque et film d'épouvante, « L'Ombre du Vampire » nous donne l'occasion de nous plonger dans les coulisses de l'un des films d'horreur les plus célèbres de tous les temps. Une mise en scène subtile et un casting superbe desservent cette histoire étrange et atypique de ce vampire qui se fait passer pour un acteur censé incarner un vampire. Un film macabre et dérangeant mais qui n'exclue pas quelques touches d'humour. Dans la peau de la créature, Willem Dafoe trouve probablement l'un des meilleurs rôles de sa carrière.

Note: ***

1 commentaire:

Vladkergan a dit…

Un film franchement excellent, qui offre en effet une vision pour le moins intéressante du tournage de ce chef d'oeuvre du film de vampire qu'est le Nosferatu de Murnau.

Dafoe campe un Max Schreck (qui veut dire peur en allemand, tout un programme) réellement convainquant, et domine de ce fait le casting du film, qui n'est cependant pas en reste (Malkovitch est, comme à son habitude, impressionnant).

Juste une petite correction, le réalisateur est Elias Merhige et pas E. Elias Penetrez : http://www.imdb.com/name/nm0580729/

Ma chronique du film : http://blog.vampirisme.com/vampire/?289-merhige-elias-l-ombre-du-vampire-2000