samedi 20 décembre 2008

Le Bon, la Brute et le Cinglé




Les années 30 en Mandchourie. Le Cinglé vole une carte au trésor à un haut dignitaire japonais. La Brute, tueur à gages, est payé pour récupérer cette carte. Le Bon veut retrouver le détenteur de la carte pour empocher la prime. Un seul parviendra à ses fins, s'il réussit à anéantir l'armée japonaise, les voyous chinois, les gangsters... et ses deux adversaires.
Le titre fait évidemment référence au film "le Bon, la Brute et le truand", légendaire western de Sergio Leone. Normal puisque ce film en est le remake non officiel.

Quand le réalisateur Ji Woon Kim (A bittersweet life) évoque son attachement aux westerns il parle du "vent du Nord qui souffle dans le désert, de l'homme au fusil qui marche seul, de la détonation soudaine d'une arme", bref des clichés recurrents de ce type de film.

Du film original, il reprend les trois personnages principaux, l'histoire du trésor enfoui et quelques scènes cultes comme le duel final. Le reste diffère totalement tout en gardant ses références indéniables.

Les grandes étendues du Mexique ou de l'Arizona sont remplacées par les plaines désertiques de la Mandchourie, la guerre civile devient un combat entre les Mandchous et les japonais, les six coups du western se changent en luger, fusils voire mitraillettes et les trois personnages principaux s'adaptent eux aussi à leur nouvel environnement.

Contrairement à l'original, ce n'est pas le Bon (Clint Eastwood à l'époque) qui est mis en avant mais le nouveau venu, à savoir le Cinglé On a donc un changement radical de point de vue par rapport au film de Leone.

Le film aurait très bien pu s'appeler : "la star, la star et la star"...
Woo Sung Jung (le Bon), Byung Hun Lee (la Brute) et Kang Ho Song (le Cinglé font partie des plus grands acteurs du cinéma corréen.
Le premier a été révélé par le film  "Musa, Princesse du désert". Il joue ici un chasseur de primes. Cow boy solitaire, très propre sur lui, il parle peu mais tire bien. Excellent cavalier, il manie le fusil à la perfection. Son long manteau ouvert par le bas et son visage constamment caché sous son chapeau nous remettent en tête les images de l'homme à l'harmonica de"Il était une fois dans l'Ouest" de Sergio Leone.
Avec lui, on a droit aux chevauchés sur fond de soleil couchant, aux actions héroiques et aux acrobaties les plus invraisemblables.
La Brute est jouée par Byung Hun Lee qui avait déjà travaillé avec Ji Woon Kim sur A bittersweet life. Lui, c'est le tueur à gages. Cette fois aucune chance qu'il nous rappelle Lee Van Cleef! Vêtu de noir des pieds à la tête, il contraste parfaitement avec la blancheur des paysages. Véritable anachronisme vivant, sa frange qui lui barre le visage et ses boucles d'oreilles lui donnent l'air de sortir tout droit d'un manga.

Si Van Cleef jouait une ordure, et un tortionnaire de surcroît, la Brute reprend cette idée. Aussi adroit avec un pistolet qu'avec un couteau, il dégomme et taillade sans pitié tous ceux qui se dressent sur son chemin.

Et le petit nouveau c'est donc le Cinglé. Kang Ho Song est une légende vivante dans le cinéma corréen, il a participé à plusieurs grands succès comme Sympathy for Mister Vengeance de Park Chan Wook (Old Boy, Je suis un cyborg...), Memories of Murder et The Host, film de monstre absolument délirant.

Ho Song est un acteur extraordinaire qui sait passer de la comédie pure à un sérieux inébranlable en quelques secondes. Sa performance est vraiment formidable, sa tête d'ahuri et ses expressions loufoques participent grandement au plaisir que procure le film.
Le Cinglé c'est celui par qui tout arrive et qui va se mettre tout le monde à dos.

"Le Bon, la Brute et le Truand" n'est pas un western comme les autres, c'est ce qu'on apelle un western "spaghetti". Pourquoi spaghetti?
D'abord parce que le genre est avant tout italien et aussi parce que contrairement aux westens américains, les scènes sont largement arrosées de "ketchup".

Contrairement à son modèle US, le western spaguetti comporte une mise en scène beaucoup plus exacerbée, presque caricaturale. On a tous en tête les plans rapprochés à l'extrême, lors des duels, sur le regard ou sur une main prête à saisir un révolver. Plans qui contrastent avec les panoramiques grandioses des paysages alentours.

En bon élève attentif, le réalisateur s'empare de cette exagération de mise en scène pour s'en servir à sa manière.

Ici la caméra est un personnage à elle toute seule. Constamment en mouvement, aucun obstacle ne peut se mettre en travers de sa route. Elle virevolte dans les airs avec les personnages, les suit de près ou de loin lors des courses poursuites et des fusillades et va même jusqu'à se balader le long d'un train en marche.

Sincèrement, le travail effectué sur les plans et les cadrages est absolument exceptionnel. On a réellement l'impression qu'elle peut se faufiler partout. Il n' y a aucune limite à sa progression. Cette fluidité totale se ressent à l'écran et donne un sacré rythme au film.

Tout le monde connait les compositions d' Ennio Morriconne. Il a travaillé sur un grand nombre de western et il est surtout responsable de la BO de tous les films de Leone. Ici, la musique joue aussi un rôle important et accompagne l'action à merveille. Les sonorités typiquement asiatiques rejoignent des tempos plus contemporains pour un résultat fascinant.

La scène où le Cinglé est poursuivi par la cavalerie Mandchou, elle même bombardée par l'armée japonaise est juste ahurissante. Et quand en plus toute la séquence est marquée par le tempo de "Don't Let Me Be Misunderstood" (utilisée par Tarantino dans Kill Bill), on se trouve en face d'un vrai morceau d'anthologie!

Mais le plaisir ne s'arrête pas là...



Avec un budget avoisinant les 17 millions de dollars, le film est certainement le plus cher de l'histoire du cinéma sud-corréen.

Heureusement chaque centime se retrouve à l'écran et le film nous offre de formidables scènes d'action avec moult cascades, explosions, tirs en tous genres, dizaines de figurants ; le tout filmé de facon hautement spectaculaire dans des décors naturels magnifiques.

La photographie du film, dotée d'une palette de couleurs éclatantes, est superbe et amplifie considérablement la beauté de chaque scène.

Mais ce n'est pas fini (et non!)

Car en plus de toutes les qualités déjà citées, le film se permet d'innover de façon aussi ingénieuse qu'intelligente.

D'abord les fusillades sont particulièrement violentes (le sang va jusqu'à gicler sur l'objectif de la caméra) mais, et ça on l'attendait pas du tout, sont empreintes d'un humour noir ou absurde du plus bel effet.

Quelques exemples parmi tant d'autres :
Alors que la Brute s'apprête à découper le doigt d'un pauvre type plaqué au sol, il se met à râler parce que la pluie émousse sa lame.
Le Cinglé, mitraillé de tous les côtés, enfile un casque de scaphandrier pour se protéger des balles...

C'est de la folie pure!

Alors bien sûr le film n'est pas parfait. On peut reprocher, à de rares moments, que les plans soient trop rapides au niveau du montage (un problème récurrent dans le cinéma d'aujourd'hui) nous obligeant à deviner ce qui se passe à l'écran.

Certains trouveront aussi dommage que le scénario soit aussi sommaire, que les personnages ne soient pas plus approfondis mais, et il le montre souvent, le film se veut volontairement régressif et n'a que trois choses à nous offrir : du fun, du fun et du fun!


A la fin, la question de savoir si le film a dépassé son modèle ne se pose même pas. Le classique de Sergio Leone reste indétronable, point barre. Mais vu les différences entre les deux films, je pense que ce n'était même pas la volonté du réalisateur.

Le Bon, la Brute et le Cinglé est un pur divertissement ni plus, ni moins.
Loufoque, joyeux et complètement barré, le film place la barre très haut en matière de plaisir à offrir. On y retrouve tous les ingrédients classiques d'un bon western assaisonnés d'une sauce coréenne terriblement épicée. Chaud devant!

Excellemment filmé et interprêté il permet au spectateur de prendre son pied comme rarement, et ce jusqu'à la fin du générique!

Note : ****

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