samedi 27 décembre 2008

Je suis un cyborg




Internée, Young-goon est persuadée d'être un cyborg. Elle refuse de s'alimenter, préférant sucer des piles et parler aux distributeurs automatiques. II-Soon, lui, pense que ce n'est pas grave.
En tombant amoureux d'elle, il va tenter de la ramener à la réalité.


L'amour rend fou mais quand on l'est déjà, qu'est ce qu'on risque?

Depuis plusieurs années déjà, le cinéma corréen a fait une poussée en avant phénoménale grace à des polars passionnants et des films de science fiction originaux. Comparé au cinéma américain et européeen, on reconnait souvent un film corréen à son style visuel très spécial.

L'un des cinéastes les plus connus dans ce domaine est sûrement Park Chan Wook dont l'ultraviolent "Old Boy" avait défrayé la chronique au festival de Cannes.
Applaudi par Tarantino en personne, Chan Wook porte haut le cinéma corréen avec sa trilogie sur la vengeance.

Ses fans attendaient son nouveau film avec impatience en espérant une nouvelle série de scènes chocs, violentes et sadiques.
Oh combien ils ont du être déçus ceux là!
En effet, prenant tout le monde à contre courant, son film est une fable romantique qui se déroule dans un hopital psychiatrique.

Pas de poulpe avalé cru et pas d'arrachage de dents à coup de marteau cette fois, ceux qui attendaient un 4ème épisode sur le thème de la vengeance ont crié au scandale.
Pour les autres, ils ont eu la chance d'assister à un festival de créativité visuelle.

Le personnage principal est une jeune femme qui croit qu'elle est un cyborg.
Son comportement traduit donc ce ressenti : elle parle à la machine à café et aux néons et refuse de s'alimenter autrement qu'en suçant des piles.

Chan Wook joue habilement sur deux réalités.

L'une est celle de l'hopital avec ses traitements psychologiques de choc et son ambiance malsaine et délirante à la fois.
Si les malades sont loufoques à souhait ( entre celui qui marche à reculons, celle qui ne se regarde que dans un miroir et une autre qui cherche à défier la gravité...), l'hopital n'est pas un lieu inquiétant couvert de murs blancs et de longs couloirs.

Le réalisateur joue sur les teintes pour créer un décor coloré où les tables sont bleutées, les murs beiges aux motifs d'arbres à bulles, et les chambres d'internement, supposées étouffantes de froideur, sont d'un jaune pêtant qui traduit une autre sensation : celle du malaise.

Car le décor psychédélique très orienté culture pop n'empêche pas les électrochocs et autres traitements inhumains infligés aux patients.
"Vol au dessus d'un nid de coucous" à la sauce corréenne...


L'autre réalité c'est l'univers dans lequel Young-goon s'imagine.
Inutile de dire que lors de ces représentations oniriques, le réalisateur s'en donne à coeur joie.
Les ongles de pieds font office de barres de batterie pour voir si Young-goon est rechargée, ses chaussures cachent des réacteurs qui la font décoller et son corps translucide laisse apparaître les rouages et autres ampoules fantaisistes qui la font fonctionner.

Et que dire lorsque elle s'imagine en implacable machine à tuer ?

De ses doigts sortent des canons et sa bouche se mécanise. Les bras tendus, elle mitraille sans êtat d'âme le personnel de l'hopital dans des séquences bluffantes.

La caméra capte chaque coup tiré et les impacts s'écrasent artistiquement contre les murs, éclatent les ustensiles et font voler la paperasse tandis que les blouses immaculées des medecins se couvrent d'un rouge sang.

Rien que pour ça, Park Chan Wook confirme sa place de virtuose du cinéma!

Chan Wook est un esthète de l'image.
Ses plans prennent toujours en compte la profondeur de champ (il se passe toujours quelque chose en arrière plan) et la caméra virevolte dans les airs sans limites. La photographie est géniale : grace au travail effectué sur la lumière, les extérieurs deviennent de véritables tableaux d'artistes.


Mais en dehors du visuel, le scénario surprend également.
Si Young-goon est un cyborg, II-Soon, lui, est un voleur. Mais pas un voleur ordinaire...

Eternellement caché derrière un masque de lapin en carton, il a la capacité d'absorber un talent ou une sensation s'il arrive à suivre régulièrement une personne. Les situations qu'il déclenche sont excellentes : il arrive à s'accaparer la technique d'un joueur de ping pong, qui n'arrive plus à gagner un seul match, et la politesse maladive d'un jeune homme naif et timide qui, par la suite, ne pourra s'empêcher d'insulter le personnel...

Comprenant cela, Young-goon, lui demande de lui voler sa compassion pour qu'elle puisse aller libérer sa grand mère en tuant les docteurs qui la gardent.
Il va donc la suivre constamment et rapidement tomber amoureux d'elle.

Pour lui ce n'est pas grave si elle pense qu'elle est un cyborg mais la pauvre Young-goon n'arrive pas à s'alimenter normalement et risque de mourir.
Il va alors tout faire pour la ramener à la réalité.

Chan Wook signe des scènes aussi belles qu'émouvantes quand, II-Soon joue sur les deux tableaux faisant croire qu'elle peut vivre en étant ce qu'elle est.
Il fabrique un mécanisme qui lui permet de manger normalement et lui installe à l'intérieur du corps. Du moins, il feint de le faire...

Le film est tellement complet que je pourrais encore écrire des dizaines de lignes mais je risquerais de trop en dévoiler...

Park Chan Wook, mélange alègrement les situations oniriques, la fantaisie et l'humour adulte dans une oeuvre surprenante et colorée.
Un film novateur et dépaysant.

Note : ***

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