dimanche 1 février 2009

Les Seigneurs de la Guerre




Un militaire, un homme d'honneur et un idéaliste. Trois hommes que le hasard réunit se jurent fidélité et allégeance. Désormais, ils seront frères de sang, à la tête d'une armée de bandits dont ils feront leurs soldats. Ensemble, ces seigneurs de la guerre combattront pour obtenir le pouvoir. Une fois la victoire accomplie, le plus dur les attend : honorer le serment qui les unit.

Dans le cinéma chinois, les fresques historiques et les reconstitutions de grandes batailles, c'est pas ça qui manque.

Dans ce domaine, Chen Kaige et Zhang Yimou sont certainement les plus reconnus.
Si leur talent d'esthète n'est plus à démontrer, en ce qui concerne leur capacité à diriger un récit, c'est une autre paire de manches...

Avec "Wu Ji", Kaige a misé gros sur une esbrouffe visuelle aussi impressionnante que vide de sens, quant à Zhang Yimou ses films sont des tableaux vivants.
Mais sans âme, ils n'en demeurent pas moins mous, voire pour certains ("La cité Interdite") mortellement ennuyeux.

Ce n'est pas parce qu'il peint la moindre feuille à la main pour harmoniser ses arrières plans que ses récits sont passionnants, et ses personnages ne sont généralement que de vulgaires pantins qui virevoltent dans les airs.

Parfois beaux à se damner, ces films manquent cruellement d'un véritable souffle épique et de héros crédibles.

Quand à John Woo, son adaptation des 3 royaumes, sa sortie chez nous se fait toujours attendre...


Voyant donc que la place est libre, Peter Chan réalise "Les Seigneurs de la guerre" : un film avec Jet Li...

J'entends déjà les sarcasmes voler et je vais couper court à toute tentative de railleries fondées sur des à prioris mal placés.

Malgré toutes les apparences, "Les Seigneurs.." n'est pas un simple film d'arts martiaux avec un Jet Li bondissant dans le rôle titre.

Après une (trop) longue période à Hollywood où il a été exploité pour ses talents en combats câblés, Jet Li retrouve le cinéma qui l'a fait connaitre.

Mais cette fois pas question de grimper verticalement sur le mur d'une pagode, une épée recourbée dans chaque main avant d'affronter des dizaines d'ennemis, en équilibre sur une tige de bambou. Si Jet Li est un artiste martial renommé, c'est aussi un très bon acteur. Il a enfin l'occasion de le prouver en incarnant cet homme violent, dévoré par l'ambition et rongé par le passé, à des lieux du héros naif dans la peau duquel on a l'habitude de le voir.

Nominé aux Asian Film Awards (l'équivalent asiatique des Oscars) comme meilleur acteur, il réalise une performance émouvante et tragique dont beaucoup ne le croyaient pas capables.

Pour lui donner la réplique, Andy Lau ("Infernal Affairs") et Takeshi Kaneshiro ("Le secret des poignards volants", "Returner") font eux aussi oublier leur belle gueule pour offrir de vrais rôles crédibles et sincères.

Un trio d'acteurs au sommet de leur forme comme on aimerait en voir plus souvent.


Au niveau de la réalisation, Peter Chan dépasse de loin ses confrères cités plus haut.
Bien que son approche soit beaucoup moins poétique, sa mise en scène à la fois incisive et lyrique apporte enfin ce souffle épique tant attendu.
Fini les guerriers invincibles qui courent sur des bandes de tissu, fini les coups d'épée qui font des étincelles, fini aussi les mouvements magnifiques mais inutiles qui ponctuaient chaque frappe.
Cette fois quand on cogne, on cogne!

La guerre c'est moche.
Mais filmée à travers l'objectif de Peter Chan, la boucherie héroique est magnifiée à chaque instant. Les membres volent, le sang gicle, les corps tombent par dizaines mais paradoxalement, le spectateur est constamment subjugué par la bestialité des affrontements.

Grace à photographie d'Arthur Wong à la fois réaliste et flamboyante, la violence des combats prend une toute autre dimension.

Bien que chinois, le film emprunte énormément à ses homologues occidentaux.

En général, quand on essaie de s'approprier la culture d'un autre pays en la mettant à notre sauce, ça donne rarement un résultat convaincant...
Si Edward Zwick nous avait fait bien rigolé (voire pleurer de honte) avec le "Dernier Samouraï", Peter Chan évite de se prendre pour le nouveau Ridley Scott.
Il emprunte à loisir aux plus grands mais ne sombre jamais dans la surenchère facile.


Les échafourrées combinent avec une élégance rare l'ultraviolence crue d'un "Braveheart" et la mise en scène saccadée de "Gladiator" ou de "Kingdom of Heaven".
Quand aux charges épiques de la cavalerie, elles n'ont parfois rien à envier à celles de Peter Jackson, toutes proportions gardées bien entendu.

La musique traditionnelle chinoise fait ici place à une partition bien plus Zimmerienne qui donne au film des allures de gros budget Hollywoodien.

Il en résulte un chaos d'une extraordinaire beauté.
Certains plans sont absolument superbes et la bataille avec les canons est digne de figurer parmi les meilleures du cinéma chinois.


Si pendant ces moments, Jet Li est comme un poisson dans l'eau, taillant et tranchant avec rage tous les gros bouts qui dépassent, les scènes de bataille ne sont pas le coeur du film.

L'histoire se concentre en effet sur l'amitié des trois personnages principaux. Amitié qui sera mise à l'épreuve par les rivalités amoureuses, les différences d'opinion et, comme si ça ne suffisait pas, les politiciens véreux qui rêvent de les voir s'entretuer.

Pas si surprenant que ça au final (les connaisseurs de la Shaw Brother, et des films de Chang Cheh en particulier, navigueront en terrain connu), le scénario évite tout manichéisme et a le mérite d'être bien plus complexe et travaillé que ces prédecesseurs.


S'il fallait être désagréable, on pourrait reprocher une caméra qui bouge parfois trop et une fin assez abrupte. Et puis de temps en temps, une séquence nous fait légèrement tiquer mais ça n'a pas vraiment d'importance.
Sinon, c'est du tout bon!


En choisissant de s'inspirer des films Hollywoodiens, le film perd en même temps de sa personnalité, ce qui n'enlève en rien à ses qualités.
Violent, dur, poignant, porté par des acteurs aussi convaincants que les dialogues et par une mise en scène touchant parfois au sublime, "Les Seigneurs de la Guerre" se forge en plus un scénario aux allures Shakespeariennes, lui fournissant des personnages suffisament complexes pour nous tenir captivés.

Peut être complexés par le succès des épopées occidentales, les chinois passent à l'étape supérieure et prouvent aux Coréens qu'ils ne contrôlent pas encore tout le marché du cinéma asiatique.
S'il ne réinvente pas le genre,"Les Seigneurs de la Guerre" se classe parmi les plus grands et devient le plus gros succès de tous les temps au box office asiatique.

Note : ***

Aucun commentaire: