mercredi 7 janvier 2009

Avalon




Dans un futur indéterminé, le jeu vidéo "Avalon" constitue la seule alternative pour se soustraire à un climat lugubre et dictatorial. Ce jeu de guerre attire de nombreux citoyens qui, le temps d'une partie, se retrouvent dans son univers virtuel, où ils doivent accomplir des missions à haut risque pour espérer toucher une prime. Ash, ex membre des Wizards, une équipe de jeu, est la meilleure joueuse-guerrière d'Avalon. Un jour, elle découvre que Murphy, un ancien des Wizards, est devenu un "non-revenu" : il est resté pris au piège du jeu, et son corps gît inanimé dans un hôpital. Pour le sauver, Ash tente d'atteindre le niveau suprême, la " classe spéciale A ", où se trouverait l'âme des non-revenus.



Mamoru Oshii est l'auteur de nombreux animés cyberpunk dont "Patlabor" et les "Ghost in the Shell" dont le premier reste une des références incontournables du genre.

Si l'on a longtemps considéré le manga comme un réservoir de sexe et de violence sans âme, ni intelligence, il est impossible de dire la même chose de ses oeuvres.

Au même titre que Hayao Miyazaki et Isao Takahata, Oshii est toujours à la recherche de scénarios décalés et savamment empreints d'intelligence.

Ses films font la part belle aux discours philosophiques complexes, à la science fiction et aux débats métaphysiques dont l'éternel : "Qu'est ce que la réalité?", fil rouge de nombreuses de ses histoires.

Car la réalité chez Oshii n'est jamais ce qu'elle semble être.
Les humains sont réduits à des pantins sans âmes tandis que les créatures cybernétiques qui peuplent son monde ne cessent de se poser des questions existencielles sur leur vraie nature.

"Avalon" est son premier film "live" mais l'on retrouve tous les ingrédients de ses précédents animés.

Ce qui frappe le plus dans "Avalon" c'est son esthétique.
Une chose est sûre, visuellement le film marque les esprits.

Les 3/4 du film baignent dans un filtre sépia qui rappelle les vieilles photos jaunies de la seconde guerre mondiale.
Le film ayant en plus été tourné en Pologne, le monde d'Avalon ressemble à une société détruite, dominée par un pouvoir répressif.
Un choix surprenant mais qui donne au film une splendeur indescriptible.
Beau à se damner!

Le jeu vidéo dans lequel se déroule l'histoire est calqué sur les jeux de tir d'aujourd'hui dont la plupart des gamers (moi y compris) raffole.

Hélicoptères, tanks et autres machines de guerre sont les ennemis à abattre pour pouvoir terminer les missions du jeu. Plus que de simples véhicules, Oshii en fait des créatures robotiques. Non pas qu'ils puissent se transformer à volonté comme dans "Transformers" mais leur design est particulièrement soigné et rappelent ceux des précédents films de Oshii (l'hélicoptère pour "Patlabor" et le tank pour "Ghost In The Shell").

Comme dans ses autres films, le héros est une héroine. Ash de son prénom est une femme fière, indépendante mais seule et fragile (à l'image de Motoko Kusanagi).
Son seul lien avec la "réalité" est ce basset (personnage récurrent des films de Oshii) qu'elle nourrit mieux qu'elle même.
Sa vie se résume à se connecter au réseau pour pouvoir se lancer dans le jeu d' Avalon.

Elle rappelle fortement les "no-life", ces gens accros aux jeux en ligne qui, comme sous l'effet d'une drogue, ne parviennent plus à décrocher. Ils restent chez eux toute la journée, scotchés à l'écran, et en oublient peu à peu leur vie sociale. Oshii parvient à retranscrire ce sentiment d'enfermement lorsque la caméra arpente de longs couloirs qui plongent peu à peu dans les ténèbres.

Les salles où les joueurs se connectent ont de fortes ressemblances avec une prison ou un institut psychiatrique : grilles à l'entrée, cellules individuelles, casques et lits d'hôpital.

A l'opposé d'un lieu de fraternité et de plaisir, ces "salles de jeu" portent définitivement en elles quelque chose de malsain....

Même manger devient en quelque sorte un acte glauque et pervers. Le plan où la caméra fixe constamment la bouche qui engloutit les aliments est réminiscent de la fameuse scène du convoi dans "Il était une fois la révolution" de Sergio Leone ou du "Eraserhead" de David Lynch.
Bien que manger fasse partie des actes les plus naturels du monde, on est presque écoeuré de ce que l'on voit (notre propre réalité...).

Tout comme l'esthétique et le scénario, Oshii possède un style bien à lui.
De brefs passages violents suivis de longs temps morts composent la marque de fabrique du cinéaste.

L'action prend place lorsque Ash entre dans le jeu.
A ce moment, tirs et explosions fusent en tout sens. Mais comme toujours, Oshii cherche à se différencier de ses prédécesseurs et avec l'aide des effets spéciaux les plus perfectionnés du moment, stylise le moindre aspect de son film.

Les explosions se figent à l'image et la caméra passe à travers, dévoilant les différentes couches numériques qui les composent. De même, les corps des joueurs ou des ennemis éliminés ne tombent pas à terre, mais se séparent littéralement en plusieurs parties avant de se décomposer en une multitude de pixels.

Ralentis oniriques, plans inspirés, effets sonores travaillés, esthétique jeu vidéo (avec le score qui s'affiche à la fin des missions), tout concorde avec la mise en scène virtuose d' Oshii.
Ces passages sont de plus portés par la magnifique musique de Kenji Kawai, qui donne au film une poésie et un lyrisme indicible.

Ces séquences sont indéniablement spectaculaires mais rares.
Une fois l'introduction passée, il faudra attendre longtemps avant de pouvoir en reprendre plein la vue.


Pour autant on n'en reste pas moins émerveillé par la profondeur du scénario et le style sobre et épuré qu' Oshii emploie pour suggérer la solitude de l'héroine et son monde désincarné.
Les acteurs n'ont pas un mot plus haut que l'autre et sont souvent plats. Non pas qu'ils soient mauvais mais le manque d'expression sur leurs visages accentue le délaissement et l'isolation des personnages.

Comme tous les autres films d'Oshii, "Avalon" possède un rythme très lent et certaines scènes en deviennent presque soporifiques. Bien que le scénario et le diptyque monde réel/ monde virtuel fassent évidemment penser à "Matrix", les longs silences ininterrompus, les rares dialogues et les décors quasiment vides le rapprochent plus du "2001" de Kubrick.

Et avant que tout le monde ne sur rue sur Oshii pour plagiat éhonté, il est important de savoir que les frères Wachowski, réalisateurs de "Matrix", ne cachent pas leur admiration pour Oshii et c'est sans honte qu'ils lui ont emprunté son style visuel si particulier : le célèbre générique où les caractères verts défilent à l'écran est en réalité tiré du générique de "Ghost in the Shell".

Car oui, "Matrix" est directement inspiré de l'animation japonaise et des films de Oshii en général...et non le contraire.

Mais il semblerait qu'à son tour, Oshii ait rendu hommage aux Wachowski avec la scène de la fenêtre murée (clin d'oeil possible à "Matrix")

Quoi qu'il en soit, ce sont ces silences interminables qui risquent de diviser les foules car si la bande annonce du film faisait quasiment une apologie des scènes d'action, elles ne doivent pas durer plus de 10 minutes en tout.
Les amateurs seront forcément déçus.

De la part de Oshii, il faut toujours s'attendre à un scénario compliqué voire complexe. Entre les références mythologiques à Avalon (l'île de la légende du Roi Arthur), ce qui se passe à l'écran et ce qui est dit par les personnages, il faut compter sur plusieurs niveaux de lecture pour bien en saisir toutes les subtilités.

La fin est d'ailleurs sujet à de nombreuses interprétations tant elle s'avère surprenante en tous points.


"Avalon" est vraiment un film à part. Il commence comme un film d'action classique et finit en fable métaphorique sur le destin et le sens de la vie. C'est typiquement le genre de film qui divise car rien n'est fait à moitié.
Oshii a fait tout sauf un film commercial : "Avalon" est un film japonais tourné en polonais!

Il est certain que tout le monde n'appréciera pas et moi même j'ai vraiment eu du mal à ne pas m'endormir pendant la seconde moitié tant le rythme du film se fait apathique... De ce côté là je rapprocherais plus "Avalon" de "Innocence" que du premier "Ghost in the Shell" qui, lui, possédait l'équilibre parfait entre réflexion et action (même si le scénario de départ était de Masamune Shirow).


Considéré par les plus grands maîtres du cinéma de science fiction (dont James Cameron) comme un "réalisateur visionnaire", Mamoru Oshii a une fois de plus accompli une oeuvre d'art qui va marquer les esprits pour un bout de temps.

"Avalon" est un film absolument inclassable. Il est difficile d'y entrer mais il est encore plus dur d'en sortir. Et de la même manière qu'un film de Kubrick ou de David Lynch, il vous restera dans la tête longtemps après le générique.

J'aurais tant aimer élever "Avalon" au rang de chef d'oeuvre mais sa lenteur trop marquée m'en empêche. En tant que critique, j'ai du mal à noter le film pour tout ce qu'il représente vraiment.
Je continue à considérer "Ghost in the Shell" comme le meilleur film du cinéaste.

Note : **

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