mardi 11 janvier 2011

127 heures


Parti pour une randonnée en solitaire dans les gorges de l’Utah, Aron Ralston, jeune alpiniste expérimenté, se retrouve bloqué au fond d’un canyon isolé lorsqu’un rocher s’éboule, lui emprisonnant le bras. Parti pour une randonnée en solitaire dans les gorges de l’Utah, Aron Ralston, jeune alpiniste expérimenté, se retrouve bloqué au fond d’un canyon isolé lorsqu’un rocher s’éboule, lui emprisonnant le bras. Pris au piège, menacé de déshydratation et d’hypothermie, comprenant que les secours n’arriveront pas, il va devoir prendre la plus grave décision de son existence…

ATTENTION CETTE CRITIQUE CONTIENT DES SPOILERS

C’est l’histoire d’un mec (comme dirait Coluche). Il part se promener dans un canyon et paf il tombe. Il se fait écraser le bras par un rocher et il reste coincé pendant cinq jours. A la fin, il se coupe le bras pour s’en sortir. Voilà c’est tout. Dit comme ça, « 127 heures » a l’air peu palpitant. Et pourtant, il s’agit probablement d’un des meilleurs films de l’année (même si elle vient juste de commencer).

« 127 heures » est tiré d’un livre (« Between a rock and a hard place ») basé sur une histoire vraie, celle de Aron Ralston qui raconte son périple et comment il a survécu. Car cinq jours ça parait rien comme ça, mais quand on ne peut même pas bouger le petit doigt (dans ce cas aplati sous quelques tonnes de roche), ça peut sembler particulièrement long. Surtout quand on manque d’eau et de vivres, qu’on est coincé à quelques dizaines de mètres de la surface et que le seul habitant à des kilomètres à la ronde est un aigle qui passe (et qui rapace…) à intervalles réguliers.

Même si le titre est suffisamment explicite et les jours notés à l’écran, l’histoire n’a rien d’une course contre la montre. Au contraire, le film nous plante là avec Aron et laisse le temps s’écouler sans que l’on s’en rende réellement compte. Entre deux regards fréquents sur sa montre et les batteries de sa caméra qui s’épuisent, pour Aron comme pour nous, le temps devient une notion abstraite et aléatoire qui prend un sens différent. Les secondes deviennent des minutes, les minutes des heures et les heures des jours. Et à mesure que les jours défilent, on partage sa solitude, captifs à notre tour d’une prison de pierre.

Le plus surprenant c’est que le film n’a rien de déprimant, bien au contraire. Aussi bizarre qu’il puisse paraître, il donne même une pêche incroyable. Alors que le personnage demeure statique, la caméra jouit d’une liberté totale et se déplace constamment pour aller se placer dans les endroits les plus inattendus. Quand elle ne survole pas le canyon pour nous laisser contempler la beauté des paysages désertiques, elle va se nicher entre les orteils d'Aron, sous ses narines, voire au fond de sa bouteille d’eau alors qu’il est en train de s’abreuver. Elle (et donc le spectateur) partage alors une intimité totale avec le personnage principal.

Mais le plus impressionnant, c’est quand le film nous plonge dans l’univers mental du protagoniste. Car si ce dernier est physicalement restreint, son esprit vagabonde à loisir à travers le temps et l’espace. Accélérés labyrinthiques, écrans multi-facettes ou mobilier surréaliste, rien n’est trop extravagant pour représenter les pensées, rêves, souvenirs et sensations d’Aron à mesure que sa raison l’abandonne.

C’est que la qualité du film doit énormément à son développement sensoriel. « 127 heures » est réalisé par Dany Boyle dont le dernier film, « Slumdog Millionaire » a remporté (entre autres) les oscars du meilleur son, meilleur montage et meilleure photographie. Inutile de dire que « 127 heures » est sur la bonne voie pour prendre la relève. Le débordement de couleurs explosives contraste parfaitement avec le sinistre de la situation, la bande son fabuleuse donne au film une énergie communicative et le montage frénétique mais calculé ne perd pas une miette des événements – quitte à les montrer plusieurs fois à la suite ou en simultané. Enfin, le travail sur le son est juste exemplaire et suffit à nous maintenir en immersion constante. C’est simple, on a presque l’impression de caresser la roche avec les mains. Les moments d’exception ne manquent pas : alors qu'Aron cherche à étancher sa soif, une avalanche de boissons fraîches, aux bulles frémissantes, jaillit à l’écran nous laissant à notre tour salive en bouche, et quand il se blottit sous son sac à dos pour se protéger du froid, il suffirait de peu pour que sa transpiration nous envahisse les narines.

Quant à la fameuse séquence de la libération, disons simplement que ceux qui n’ont pas le cœur bien accroché seront priés de quitter la salle en gardant une main devant la bouche jusqu’aux toilettes. Ce n’est pas juste le sang écarlate qui emplit l’écran qui manque de faire tourner de l’œil, et ce n’est pas non plus cet effroyable craquement d’os brisé qui va vous faire serrer les dents à vous écorcher la machoîre. Non. C’est cette sensation viscérale de douleur (suggérée par des effets sonores effroyables et crispants) qui va vous transpercer l’échine et laisser vos ongles profondément enfoncés dans les accoudoirs. La scène n’est certes pas longue mais elle va vous rester en mémoire bien après la fin du générique. Depuis «Petits meurtres entre amis » et « 28 jours plus tard », on savait que Boyle était un petit génie quand il s'agit de filmer la douleur de manière réaliste mais là il s’est surpassé…

Pour en revenir à son énergie, ce qui rend le film si euphorisant c’est aussi la présentation et l’interprétation du personnage. On pourrait s’attendre à ce qu'Aron se lamente sur son sort tout au long du film, s’auto flagelle pour s’être retrouvé dans une telle situation (Pourquoi moi ? Pourquoiii ?) et passe sa vie en revue pour admettre ses regrets et ses remords. Ce n’est pas le cas. Même s’il y a effectivement un moment où le personnage admet ses fautes, le film évite avec brio l’écueil si évident de l’apitoiement à outrance et se révèle au contraire une leçon de force intérieure et d’optimisme. Aron n’est qu’un jeune homme ordinaire dans une situation désespérée mais il retrouve espoir en prenant conscience de la véritable situation dans laquelle il se trouve. Véritable épiphanie, aussi bien pour le personnage que pour le spectateur, ce moment clé du film se rapporte à un sujet que le réalisateur affectionne tout particulièrement, et qui était déjà la piece maitresse de son œuvre précédente : le destin.

Pour finir donc, c’est bien l’interprétation du personnage qui mérite toute notre attention. Vous vous rappelez le Tom Cruise bodybuildé suintant de virilité,escaladant un canyon au début de « Mission Impossible 2 », tout droit sorti d’une couverture « For Men »? Bien. Oubliez. Aron est une vraie personne. Au physique et aux capacités ordinaires et limitées. Et surtout, pas forcément sympathique (son égoïsme le perdra). Problème quand on sait qu’on va devoir passer tout le film coincé avec lui. Mais à l’écran, il est brillamment incarné par James Franco qui lui procure un charisme indéniable. Remarqué avec la trilogie « Spiderman », le jeune acteur s’est depuis forgé une excellente réputation aussi bien au niveau de la comédie que du drame. Et dans « 127 heures», il joue sur les deux tableaux avec un talent fou. Sa prestation à la fois passionnée et amusante n’est d’ailleurs pas sans rappeler Emile Hirsh dans « Into the Wild », dans un registre similaire de l'Homme face à la nature. Dès les premières images, Franco rend le personnage terriblement attachant. Lorsqu’il rencontre deux jolies filles perdues sur sa route, son humour décalé et son audace suffisent à les faire craquer. Et nous avec. On n’a certes aucun mal à imaginer la peine qu’il endure une fois tombé dans la crevasse mais quand il commence à imaginer sa propre émission de télé pour passer le temps, il est irrésistible de drôlerie. On se prend littéralement d’affection pour lui. Dès lors, passer 90 minutes en sa compagnie est un régal de tous les instants.

Malgré un synopsis qui laisse redouter un drame psychologique somnolent et peu captivant, « 127 heures » a l’effet d’une boisson énergisante. Passionnant de bout en bout, il exploite tous vos sens pour vous plonger corps et âme dans la peau du personnage et vous faire ressentir ses émotions les plus extrêmes (gare à l'électrochoc final). James Franco est parfait. On en ressort essoufflé mais conquis.
Note : ****

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