dimanche 8 août 2010

Dolls




Trois histoires d'amour inspirées d'un spectacle de poupées du théâtre Bunraku.


« Dolls » est ce qu'on appelle un film contemplatif. La caméra reste fixe, les personnages parlent peu et agissent encore moins. L'action est réduite à peau de chagrin et le scénario, parfois inpénétrable, demeure avare en explications. Pour autant, et c'est ce qui fait sa force, le film est loin d'être ennuyeux, bien au contraire.

C'est que « Dolls » est réalisé par Takeshi Kitano, cinéaste japonais émérite qui n'en est pas à son premier coup de maître. Mais parvenir à décrire un film de Kitano relève parfois de la gageure tant il est difficile de trouver les mots justes qui définissent son style. Reconnu à la fois pour l'ultraviolence qui émane de ses films et la poésie visuelle intrinsèque à chacune de ses oeuvres, le style de Kitano est unique en son genre. Présent à la fois derrière la caméra, au niveau du montage et lors de l'écriture du scénario, Kitano élabore soigneusement chaque aspect de « Dolls » avec une véritable âme artistique.

Peintre à ses heures perdues, Kitano rate rarement l'occasion de placer ses propres tableaux dans ses films, comme dans le remarquable « Hana-Bi » ou le plus récent « Achille et la Tortue ». Si ce n'est pas le cas dans « Dolls », le soin apporté à l'image mérite néanmoins le respect et certains plans du film rivalisent aisément avec de vraies toiles de maître. Surtout lorsque l'environnement urbain oppressif laisse place à des paysages enchanteurs et bucoliques de toute beauté. Ceux qui connaissent les peintures de Kitano savent à quel point son art se veut enfantin et surréaliste à la fois. Et l'on ne peut s'empêcher de ressentir le même sentiment à la vue de « Dolls », constamment magnifié par une utilisation prononcée des couleurs primaires qui donnent à la réalité du film un aspect onirique qui se rapproche souvent du conte pour enfants.

En revanche le film ne s'adresse certainement pas à un jeune public. Si le film retrace plusieurs histoires d'amour qui s'enchevêtrent, le scénario est empreint d'une tristesse et d'une noirceur incomparables. Chaque personnage, masculin ou féminin, traverse le film comme une ombre, éphémère, rongé par la culpabilité ou le remord et ne parvient à trouver de délivrance que dans la mort. En effet, si chaque histoire est inspirée du théâtre de marionettes, les protagonistes ne sont rien d'autre que de fragiles poupées (Dolls) de porcelaine qui risquent à tout moment de se briser, manipulées et reliées entre elles par le fil invisible du destin. Enfin, « Dolls » illustre bien l'expression « fou d'amour » au sens littéral du terme – et dans toute sa cruauté : entre la femme qui dévoue sa vie à attendre que son amant revienne mais qui ne le reconnaît pas lorque celui ci se présente à elle, celui qui sacrifie sa vue pour demeurer au côtés de sa bien aimée, ou bien les deux amants condamnés à errer sans fin, les personnages du film sombrent tous peu à peu dans une démence silencieuse qui finit par les couper du monde.

Comme toujours chez Kitano, la mise en scène se révèle à la fois brillante et surprenante d'efficacité. Si « Dolls » est bien une tragédie, le réalisateur instille de petites touches de cet humour à froid dont il a le secret. On ne rit pas car le film reste triste mais on ne pleure jamais non plus car Kitano ne cherche jamais à ce l'on plaigne les personnages. Au contraire, il demeure constamment, avec un génie et une habileté qui frisent parfois l'indécence, sur le fil du rasoir entre drame et comédie sans jamais se laisser aller à la facilité. Et si justement le couple principal du film est lié par une corde rouge vif bien voyante, véritable connexion visuelle entre certaines séquences, Kitano, lui, n'utilise jamais les grosses ficelles. Sa mise en scène est alerte et travaillée dans les moindres détails. Evitant le côté répétitif des films à sketches, les trois histoires ne se succèdent pas mais sont au contraire reliées entre elles avec une ingénieuse simplicité et le montage sec et abrupt ne cesse de retenir l'attention des spectateurs.

Plus intéressant encore, le film ne suit pas de chronologie établie mais associe alégrement flash backs, répétitions et ellipses narratives pour mieux nous captiver. De ce fait, la narration du film est en tout point remarquable et l'on ne peut que saluer le talent du réalisateur qui parvient à nous toucher, voire à nous frapper en plein coeur, avec une incroyable économie de moyens. L'action n'est jamais montrée telle quelle ; seules les conséquences sont visibles à l'écran. Que ce soit une fusillade dans un hôtel ou un accident de voiture, rien n'est dévoilé si ce n'est le corps des victimes. « Dolls » ne cesse de jouer sur les non-dits, les ellipses et le hors champ pour nous plonger dans un climat d'angoisse et d'anxiété permanents. Ainsi, l'imagination du spectateur se retrouve constamment sollicitée et le style froid et impersonnel du réalisateur ne fait qu'accentuer l'horreur banale des situations. Malgré les nombreuses scènes choc, la caméra demeure imperturbable aux pires atrocités et le film en devient réellement terrifiant.

Pour autant, « Dolls » n'est pas un film d'horreur proprement dit. Si le caractère perturbant et malsain du film ressort aisément, l'ambiance reste insaisissable et une constante mélancolie balaye chaque saynète d'un souffle doux-amer. Et il est certain que la musique étrangement nostalgique - presque « Porco Rossoesque » - du célèbre Joe Hisaishi n'est pas étrangère à ce ressenti. Et le spectateur de se laisse porter par cette fable noire et poignante, au rythme des souvenirs et des saisons.



« Dolls » est un film atypique dans lequel il est difficile d'entrer. Il est évident que son austérité narrative en reboutera plus d'un, tandis que ses qualités picturales seules charmeront les autres. Faussement intellectuel mais véritablement bouleversant, « Dolls » est une fable moralisatrice cruelle et noire, mise en scène par un cinéaste exceptionnel.


Note: ***

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